Personnalité puissante, esprit entreprenant ayant trouvé en Orient les lumières qui l’enchantaient, il s’est éteint le 14 novembre dernier.
C’était il y a longtemps. En Bourgogne. Cela aurait pu être en Bretagne, mais les jeunes qui l’entouraient avaient trop d’énergie pour l’Armor d’alors. Ils n’avaient pas trouvé d’ancrage. Ils s’étaient donc tournés vers la Bourgogne. C’était après les premières semaines d’art à Avignon, dans le milieu des années cinquante. Comme ils étaient des jeunes gens vraiment amoureux du théâtre, connaisseurs, ils avaient demandé à rencontrer Jacques Copeau, à Pernand-Vergelesses.
Un beau parrainage pour La Troupe de Bourgogne. On est en 1956. Jacques Fornier est le chef amical de la bande qui compte Roland Bertin. Souvent on a raconté l’histoire de sa première entrée : si tétanisé, le jeune homme, qu’il fit demi-tour sur le champ, sans même qu’un son sortît de son gosier…
Ensuite on sait que la troupe se verra adoubée par les tutelles et que naîtra le Théâtre Dijon Bourgogne, centre dramatique national. Jacques Fornier en est le directeur, une quinzaine d’années durant. Il met en scène les classiques. De Shakespeare à Strindberg, de Molière à Tchekhov, en passant par toutes ces œuvres qui font palpiter les cœurs et ouvrent à un goût de plus en plus fort du théâtre : Marivaux et Beaumarchais, Feydeau comme Musset, mais aussi Sartre ou Pinget. Et puis, déjà, il aide, il accueille, il partage. C’est là que les débutants (ou presque !) Lavelli et Vincent, pourront monter des œuvres qui leur sont chères. Ensuite, les tutelles penseront à lui pour le Théâtre national de Strasbourg, le TNS, au départ d’Hubert Gignoux. Mais cette grosse maison n’est pas pour lui.
A-t-il déjà découvert l’Inde et ses enseignements ?
En tout cas, qu’il y ait alors déjà séjourné ou se soit instruit comme une âme en recherche, c’est à Besançon qu’il va s’installer, il y a plus de quarante ans. Avec Jacques Vingler, un enfant de la décentralisation, comme lui, il élabore un centre qui va être un lieu d’accueil exceptionnel. Vingler est conseiller technique et pédagogique d’art dramatique à la direction régionale de Jeunesse et Sports en France-Comté de 1962 à 1987. Sa femme également. A eux deux, ils ont formé des dizaines de jeunes, ouvert des esprits et des cœurs et laissé des archives très précieuses sur cette époque de l’éducation populaire.
Les deux Jacques font des merveilles. On ne peut pas les oublier : ils ont été essentiels dans l’affirmation du jeune Jean-Luc Lagarce. L’écrivain et metteur en scène les cite, et en particulier Fornier, dans son journal. Dans le nouveau livre de Jean-Pierre Thibaudat consacré à la vie de Jean-Luc Lagarce, son importance est mise en lumières. D’ailleurs, François Berreur et les éditions des Solitaires Intempestifs, lui ont rendu hommage après sa mort, le 14 novembre dernier.
Jacques Fornier avait forgé sa pensée et sa manière. L’Inde est essentielle. Il n’est pas un voyageur frivole. Il s’enfonce dans les savoirs. Il devient un grand connaisseur de la pensée de Sri Aurobindo et se plie à la discipline d’un biologiste et physicien très particulier, Moshe Feldenkrais. Il témoigne de l’indissociable lien du corps et de l’esprit, du mouvement et de la conscience.
Autant le dire, Jacques Fornier, artisan de la décentralisation dans ce qu’elle avait de plus pur et de plus efficace, doit demeurer dans nos mémoires. Un homme aussi personnel qu’exemplaire. Un modèle.