Jean-Michel Dupuis, une si longue absence

Il aura été l’un des meilleurs comédiens de sa génération, brillant au théâtre comme au cinéma ou à la télévision. Il s’est éteint hier. Il avait 69 ans.

Il était un être sans protection. Un écorché. Une âme douloureuse. Du début des années 70 au milieu des années 2000, il a tout joué. Au théâtre, après une formation affermie notamment au conservatoire national supérieur, au cinéma, à la télévision.

Depuis une dizaine d’années, il avait disparu des scènes et plateaux du jeu. On ne l’oubliait pas. Il vivait retiré, trop vulnérable pour affronter le monde. Il était né le 2 février 1955, en Seine-Maritime, et c’est à Rouen qu’il avait d’abord appris le théâtre, auprès d’un homme qu’il aimait beaucoup, Jean Chevrin.

Il avait du charme, beaucoup de vivacité intellectuelle, sensible, physique. Ni jeune premier, ni valet, ni Arlequin sur les planches, ou alors un Arlequin dans toutes ses métamorphoses. Parce que Jean-Michel Dupuis était très intelligent, très cultivé et intransigeant, il donnait de la force à ses incarnations.

Au cinéma comme à la télévision, il maîtrisait à merveille une manière de donner des moirures aux personnages qu’il incarnait. Il savait teinter de mystère des figures apparemment les plus lisses. Et au théâtre, il passait du plein soleil à la nuit noire.

On ne refera pas ici tout le chemin de cet artiste très doué, mais très anxieux, doutant toujours de lui-même et des autres. Facilement inflammable.

Roger Planchon avait beaucoup d’admiration pour lui et l’engagea à plusieurs reprises pour ses grands Shakespeare,  Périclès, Antoine et Cléopâtre, après Daniel Benoin, Yvon Davis, Jacques Rosner, avant Gabriel Garran qui avait fait appel à lui pour Platonov.  Michelle Marquais l’avait choisi pour Don Carlos, à Avignon.

En 1987, il fait partie de la troupe qui crée Conversations après un enterrement de Yasmina Reza au Paris-Villette, dans une mise en scène de Patrice Kerbrat qui le dirigera également dans En attendant Godot, une dizaine d’années plus tard. Et dans d’autres pièces, encore. Il y aurait beaucoup d’autres pièces à citer, avec Retours de Pierre Laville, Howard Barker, et même Jacques Attali ou encore Hernani sous la direction de Jean-Luc Tardieu. Il aime défendre les auteurs contemporains : Lionel Spycher, Gérald Sibleyras, Anne-Marie Etienne,

Ces dernières années, il avait été l’un des protagonistes du Prénom, mais n’avait pas été retenu pour le film, ce qui lui fut une blessure profonde, même s’il avait un peu largué les raisonnements raisonnables. Bernard Murat s’était appuyé sur son talent pour Le Mensonge de Florian Zeller, il y a dix ans.

On le revoit, sans bien retrouver la date, au travail avec la très regrettée Saskia Cohen-Tanugi, mettant au point un monologue tiré de l’Ancien Testament, ou encore, formidable, au côté de Jean-Marc Barr, dans Le Chevalier d’Olmedo, de Lope de Vega. Une inoubliable mise en scène de Luis Pasqual, dans la cour d’Honneur du palais des Papes. Un grand champ de blé, et des interprètes galvanisés par la grandeur du monument…

S’il fut très souvent nommé aux « molières », les essais n’étaient pas transformés, on comprend mal pourquoi.

Il était souvent mélancolique, mais rieur, aussi. Parfois déçu par les médiocres. Il se sera longtemps battu contre ses propres démons. Il demeure un artiste très brillant, très attachant, inoubliable.