« La Plus précieuse des marchandises » : une version bouleversante

Le « conte » de Jean-Claude Grumberg se présente comme « une narration musicale pour piano, voix et électroacoustique ». Mis en scène par Stanislas Roquette, incarné par Jane David, Olivier Constant, très bien accompagnés en compositions, jeu, lumière, son, cette transposition aussi sobre qu’ultrasensible est magnifique.

Dans sa simplicité apparente, ce texte de Jean-Claude Grumberg est d’une force magistrale. Il a déjà été adapté pour la scène, notamment par Charles Tordjman. On avait vu ce beau travail au Rond-Point, il y a quelques saisons (2019, Jeu de Paume à Aix, 2021 Rond-Point à Paris et tournée). Un décor de tubulures, des vidéos, un violoniste et deux comédiens, Phlippe Fretun et Eugénie Anselin –avec aussi Julie Pilod.

Il a également été adapté au cinéma par Michel Hazanavicius, un film d’animation présenté à Cannes et qui sort le 20 novembre prochain en salles. C’est le réalisateur, décidément très doué, qui a dessiné l’ensemble. On sera troublé d’entendre la voix de Jean-Louis Trintignant, deux ans après sa mort, le 17 juin 2022. On écoutera Dominique Blanc et Denis Podalydès.

Mais pour l’heure, il faut courir aux Rendez-vous d’ailleurs, une petite salle de la rue des Haies, derrière la rue des Pyrénées, vers le métro Maraîchers ou Orteaux.  On y a souvent vu des récitals, des formes délicates, entre chanson et théâtre.

CI-dessous les artistes interprètes. Photo DR.

C’est le regretté musicien David Jisse qui avait en projet cette transposition aussi délicate qu’efficace, car elle est portée, à tous les postes, par des artistes remarquables. Le « spectacle » lui est dédié.  Tout paraît très simple : un piano au fond, des lutrins, des chaises sur les deux côtés. La narration est portée par Jane David et Olivier Constant. Debout, en vêtements du jour, se retirant parfois sur les sièges. Se déplaçant fort peu. Textes à la main, ils connaissent par coeur leurs partitions. Au piano, Denis Cuniot, pianiste subtil qui a donné des couleurs klezmer à ses compositions. Henry Fourès, lui, qui n’est pas en scène, a dessiné un environnement électroacoustique, d’une finesse envoûtante. Les lumières d’Yvan Lombard et Tomas David, le son distillé par Christophe Hauser, tout ajoute à la perfection de ce moment déchirant. Mais on rit, on sourit : Jean-Claude Grumberg est là pour, par-delà sa lucidité, son ironie, faire poindre des blagues de fantaisie. Il est aussi grave que gamin, ce grand homme.

Félicitations à Stanislas Roquette qui a su animer ce dispositif. Les deux comédiens sont excellents, mais encore fallait-il imaginer les mille et un mouvements, les nuances de posture, d’élocution, les regards si éloquents. C’est magnifique.

Elle, Jane David, brune à la beauté calme, irradiante, lui, Olivier Constant, avec son visage creusé, son regard clair, qui donne le sentiment d’une inquiétude, sont profondément accordés. On adhère immédiatement. On est happé par le conte, l’art de Jean-Claude Grumberg, qui nous plonge dans une histoire déchirante dont on comprend, évidemment, toutes les références tragiques.

Jean-Claude Grumberg est un très grand écrivain et ce texte traduit la maîtrise d’un dramaturge, qui a écrit pour les adultes comme pour la jeunesse, et noue ici tous les fils de sa manière.  

Pourquoi dire plus ? Un seul conseil : courez aux Rendez-vous d’ailleurs et un souhait : que ce moment immense de théâtre puisse être repris.                                                                         

Encore deux représentations, ce soir et demain à 19h00, aux Rendez-vous d’ailleurs, 109 rue des Haies, 75020 Paris. Durée : 1h15. Le texte de Jean-Claude Grumberg est publié au Seuil.