« La Tempête » ou l’art des renversements

Stéphanie Tesson signe la traduction et la mise en scène de la pièce testamentaire de William Shakespeare. Les circonstances l’ont conduites à endosser le rôle de Prospero tandis que Miranda, la fille du maître de l’île est jouée par un homme.

Nous avions vu ce spectacle avant l’été et beaucoup apprécié son alacrité de tréteaux. La représentation, foraine, vive et toute de contrastes, était dominée par un comédien d’une grande humanité et d’un art très large, Pierre Val, dans la partition de Prospero.

Nous réservions l’article pour la reprise du spectacle en ce mois de septembre. Or, Pierre Val, à la suite d’un accident –une mauvaise glissade et une chute sur une pelouse, si l’on est bien informé- s’est brisé une jambe et la cheville. Trois fractures qui lui interdisent de reprendre son rôle. Ses rôles, plus exactement, car non content de porter la sévère sagesse de Prospero, il dessinait avec humour et énergie, les personnages de Gonzalo et Trinculo.

Avec sa fermeté de chef de troupe, et après beaucoup de réflexion, Stéphanie Tesson a repris le rôle de Prospero, demandant à Sylvain Katan, souvent associé à Pierre Val, et habitué du Poche, de jouer Gonzalo et Trinculo.

Nous avons évidemment vu cette reprise. Royaume des paradoxes où le vieux maître est incarné par une femme de cinquante ans, et sa fille par un garçon, Jean Dudant, qui est également le roi de Naples.  On accepte cette version créée dans les verdures du Potager du Roi, à Versailles, avant d’être reprise au Poche. C’est du théâtre de tréteaux, on l’a dit, qui tresse les scènes comiques et les réflexions tragiques, en un ruban moiré et séduisant.

Stéphanie Tesson a tenu à traduire elle-même le chef-d’œuvre dont existent pourtant des versions superbes, telle celle de Jean-Michel Déprats, accompagnée d’un ensemble éclairant de Gisèle Venet. On retrouve, évidemment, dans le texte que l’on entend au Poche –il n’est pas publié- les accents sublimes de William Shakespeare et les saillies cocasses des personnages secondaires.

Dans la partition d’Ariel, le léger et sagace esprit qui accompagne le roi déchu, abandonné sur l’île autrefois, une femme… Ariel est dessiné avec grâce par Marguerite Danguy des Déserts, que l’on connaît au Poche pour la beauté et l’inventivité de ses scénographies et que l’on applaudit souvent, comédienne, au Potager du Roi, avec la troupe de Stéphanie Tesson. Comédienne, elle est fine, nuancée, touchante et apporte une poésie profonde à la représentation.

Ici, c’est Nicolas Sire qui a conçu et peint le ciel. Il y a de la musique par Emmanuelle Huteau et ses camarades, d’après Henry Purcell. Clarinette, accordéon, chansons. Son et lumières, tout est précisément cadré.

Saluons Quentin Kelberine, le fourbe Caliban qui a très mal pris l’arrivée de Prospero, saluons Aurélien Palmer, Ferdinand et Sébastian, mais aussi le sommelier. Trois rôles et il est excellent ! Saluons, dans sa belle vareuse de Capitaine, Gérard Bonnet.  

Sylvain Katan a pris le spectacle en route. On a étoffé un peu ses apparitions. C’est un interprète très sensible et vif et il est excellent.

Et enfin, voici la fille et son père. Jean Dudant est un comédien que l’on apprécie, mais, étrangement, ici, il n’est en rien ambigu. On sait immédiatement que Miranda est interprétée par un garçon. C’est étrange que l’on n’ait pas plus travaillé le trouble, en costumes, maquillages, direction de jeu. Mais il est touchant.

Stéphanie Tesson, avec ses cheveux d’argent mi longs, son visage si harmonieusement structuré, son regard clair est profond, donne à Prospero son poids de mystère. La voix est bien placée, l’allure aristocratique. Elle joue un père aimant et anxieux, un mage savant et réfléchi qui ira au-delà de la vengeance qu’il avait ourdi en provoquant la tempête et le naufrage de ses ennemis. Elle possède une véritable autorité. C’est assez séduisant, cette inversion voulue…

Au Royaume du Poche, on pense au mage Philippe Tesson, qui vénérait Shakespeare et adorait La Tempête. Comme toutes les personnes qui aiment le théâtre, faut-il le préciser. Une manière de lui rendre hommage, cette version de La Tempête…

Théâtre de Poche-Montparnasse, salle du haut, à 21h00 du mardi au samedi, à 17h00 le dimanche. Durée : 1h25. Tél : 01 45 44 50 21. www.theatredepoche-montparnasse.com