Au Studio Hébertot, Maxime Dambrin joue un texte des tout débuts d’Arthur Rimbaud – Un Cœur sous une soutane – avec une fièvre extraordinaire. Il est chaque semaine accompagné par un musicien différent.
On ne le dira jamais assez : quel génie précoce, ce diable de poète ! En juillet 1870, Arthur n’est pas encore Rimbaud. L’adolescent n’écrira Le Dormeur du val ou Ma Bohème, ses premiers textes célèbres recueillis dans les Cahiers de Douai, que quelques mois plus tard. Il n’a même jamais encore quitté Charleville qu’il haït tant. Le jeune Arthur n’a que 15 ans et demi et remet à son professeur de rhétorique et ami Georges Izambard un manuscrit. Une “nouvelle” d’après les mots de son auteur qui a biffé le terme de “roman” sur la page de garde du document : Un Cœur sous une soutane.
Le comédien Maxime Dambrin joue les atermoiements de Léonard, un séminariste tiraillé entre son désir de devenir poète et ses sentiments pour Timothina Labinette (ici, les élans pour la chair se confondent avec les élans pour le verbe), une jeune amie repoussante comme le péché mais qu’il adule comme la Vierge Marie. Le texte, assez violemment anticlérical, découvert tardivement dans les années 20, offre alors au public un nouveau visage de Rimbaud. Un Cœur sous une soutane est volontiers cru, cynique, se moque des amoureux et des poètes. Rimbaud y annonce peut-être même la révolution poétique qu’il mènera avec Illuminations. Mais c’est aussi et surtout un texte très drôle, une qualité qui n’est pas la plus connue de l’homme aux semelles de vent :
“Je cherchais vainement tes seins ; tu n’en as pas : tu dédaignes ces ornements mondains. Ton cœur est tes seins !”
Maxime Dambrin est un merveilleux interprète. Bien accompagné par un musicien chaque semaine différent (le soir de notre venue, un saxophone épousait parfaitement les textes), il arrive à fixer le vertige Rimbaud sans trop le dénaturer, tantôt enfant cruel et moqueur, tantôt mystique sincère ou bien cynique… Laurent Fréchuret, qui le met en scène, a adapté la nouvelle avec intelligence, en y insérant des textes plus célèbres : La “Lettre du voyant” adressé à Paul Demeny, Au Cabaret vert, La couleur des voyelles…
Le comédien souffre d’un handicap à la jambe gauche. Cette fragilité apporte des oscillations nouvelles au texte. Un déséquilibre qui traduit le génie de l’auteur, pas encore (complètement) emporté par ses hallucinations et ses démons, et tout l’espace qui nous sépare de lui. Mais Dambrin appuie aussi aux endroits où nous pouvons le comprendre, le savourer. Il a les yeux qui brillent. Ce n’est pas qu’une posture de jeu. Il semble véritablement touché par la fièvre Rimbaud. Il sait nous la transmettre. C’est un mal délicieux.
Les samedis à 17h au Studio Hébertot (Paris, VIIIe), jusqu’au 11 mars.