Le grand public ne la connaissait pas. Mais le monde du théâtre, oui. Elle aura passé plus de cinquante années à mettre en lumière des talents et à faire vivre des lieux.
Elle était souriante. Très souriante. Petite de taille, grande de force d’âme. Rayonnante et volontiers rieuse. On ne peut la séparer de deux personnalités très belles, qui l’ont accompagnée : sa mère, la comédienne Jenny Bellay et son amie, la femme de sa vie, Dominique Darzacq, journaliste et défenseuse sans faille du beau, du bon théâtre et de celles et ceux qui le font vivre.
Longtemps on s’était inquiétés pour Dominique qui avait dû faire face à la maladie, il y a des années. Elle luttait. Toujours. Martine Spangaro, à son tour, dut affronter de graves problèmes et des maux en cascade. Elle tenait bon. Et puis, le 31 mai, elle s’est éteinte. Elle avait 74 ans. La date de ses obsèques n’a pas encore été fixée.
Rares étaient les soirs où l’on ne rencontrait pas Martine et Dominique. Il fallait que ses obligations la retiennent dans un lieu ou un autre, pour que Martine Spangaro n’assiste pas aux premières représentations des spectacles. Elle avait le regard, le cœur. La bienveillance. Mais devant les prétentieux et autres faux intellectuels, elle était drôle et caustique. Elle était de cette génération à qui on ne la fait pas, si l’on peut ainsi s’exprimer !
Elle était née le 28 mars 1946 et avait fait ses études à Paris et Evreux. Le club de théâtre lui plaît. Et l’exemple de sa mère, bien sûr, qui a fait une très belle carrière au théâtre, au cinéma et à la télévision et qui, encore récemment, donnait le merveilleux spectacle qu’elle a consacré à Colette.
Martine Spangaro a à peine plus de 20 ans, lorsque, à partir de 1968, elle fait ses premiers pas professionnels et affermit son apprentissage au sein d’une association intitulée « Théâtre de la Région Parisienne ». La décentralisation n’est pas encore lancée à pleine vitesse…Mais elle s’esquisse à échelle de la couronne de la capitale, quand, dans la foulée, sera donné au Théâtre de la Commune sa pleine ampleur. Comme au théâtre de Saint-Denis.
En 1971, Martine Spangaro est à Besançon. Elle a le poste, essentiel, de secrétaire générale et participe à l’élaboration de la programmation et donne une impulsion vive aux décisions.
Mais c’est évidemment à Saint-Denis, au Théâtre Gérard-Philipe, auprès de René Gonzalez, qu’elle va s’épanouir, secondant un homme merveilleux qui aura été un découvreur, un bâtisseur, un soutien de la création, partout où il sera passé, après avoir été, quelques années durant, comédien. De Saint-Denis à la MC93, l’Opéra-Bastille et bien sûr Vidy-Lausanne, Martine Spangaro était demeurée très proche de René Gonzalez, mais avait suivi son propre parcours.
Secrétaire générale, chargée des relations publiques et des relations avec la presse, elle veille, découvrant de jeunes talents, participant à la mise en lumière d’auteurs, de metteurs en scène, de techniciens, de comédiens et comédiennes, jusqu’alors inconnus. Elle passe des années à Saint-Denis : de 1974 à 1986, douze années d’une fertilité exemplaire. Théâtre, mais aussi musique et chant, avec Michel Hermon et Giovanna Marini.
Alfredo Arias fait appel à sa personnalité sûre, en 1986, lorsqu’il accède à la direction du centre dramatique d’Aubervilliers, le Théâtre de la Commune. Avec la rigueur et la fantaisie de Martine Spangaro, il élabore une transformation enchantée du lieu et met en place une programmation à son image. Le théâtre renaît.
Enfin, et ce sera l’ultime étape de sa carrière dans le secteur public de la culture, Martine Spangaro rejoint Claude Sévenier à la direction du Théâtre de Sartrouville. Encore les brillantes années d’un théâtre « élitaire pour tous ». De 1989 à 2006, son imagination s’allie à merveille aux missions de cette institution. On retrouve là des artistes aimés de Gonzalès, de Sévenier et d’elle depuis longtemps : Joël Jouanneau qui met en scène ses propres textes et beaucoup d’autres, la chanteuse et comédienne Angélique Ionatos qui de sa voix sublime illumine les soirées de Sartrouville. Et elle met sur pied le festival qui dure encore, un festival de création pour le jeune public, qui essaime dans le département : Odyssées-en-Yvelines. Spectacles pour les jeunes mais d’une qualité telle, d’une originalité si profonde, que l’ensemble du public suit la manifestation. La douzième édition de cette biennale a eu lieu de janvier à mi-mars 2020. Enfin un festival qui a échappé au confinement. Juste à temps !
Le livre des riches heures de Martine Spangaro n’était pas encore refermé. C’est à Avignon, dans le « off » qu’on allait la retrouver. Directrice artistique du Petit Louvre, rue Saint-Agricol, un espace dont elle fit en quelque temps l’une des meilleures adresses d’Avignon. Avec Claude Sévenier, appelé par les propriétaires, Sylvie et Jean Gourdon. Dès le premier été, elle avait imprimé sa marque avec son patron et alter ego en fait, Claude Sévenier. Malheureusement, Claude s’était éteint en février 2016.
Martine Spangaro avait poursuivi sa mission. Elle déplorait de ne pouvoir accueillir les artistes dans de meilleures conditions, mais c’est la loi de la cité des Papes. Le public est là, on joue, mais parfois l’épreuve est sans confort. Tout le monde aimait rejoindre Martine, faire partie de l’équipe de Martine.
Les metteurs en scène lui faisaient une grande confiance et lui demandaient de les assister. Ainsi Alfredo Arias, ainsi Marc Paquien, et quelques autres. Elle se taisait sur la maladie. Elle était aussi pudique que courageuse. Nos pensées vont à sa famille, sa maman, Jenny, et à Dominique.
Martine Spangaro avait quelque chose d’une grande sœur un peu magicienne. Elle réchauffait les cœurs et les plateaux. Une âme de théâtre.
A lire : Dominique Darzacq, Du théâtre comme il n’était pas à prévoir mais comme il est à espérer (Solin, 1985).