Cinéaste, romancière, femme d’une intelligence éblouissante, elle s’est éteinte à 89 ans, vaincue par la covid. Juste trois lignes pour saluer cette artiste d’exception.
Elle nous manquait. On ne la croisait plus dans Paris depuis quelques saisons et au 34 Champs-Elysées, le téléphone sonnait dans le vide.
Elle décrochait rarement son portable. On savait qu’elle était en Suisse. Elle nous manquait et on espérait bien qu’on la reverrait un jour avec ses yeux étincelants d’intelligence et d’amour, de joie.
Sa belle voix, ce très subtil accent qui faisait que l’on n’oubliait jamais qu’elle était née en Argentine, le 11 avril 1931, dans une famille d’origine, en partie, russe.
On aimait son goût de l’aventure. Elle avait quitté son pays natal parce qu’elle ne voulait pas être enfermée dans les normes. Elle avait été une petite fille rebelle, une adolescente passionnée de livres et de films.
Elle ne parlait pas encore le français, mais elle s’était embarquée avec quelques sous, une lettre de recommandation du directeur de la cinémathèque de Buenos Aires pour Henri Langlois et l’énergie d’une toute jeune femme d’à peine 22 ans.
Rien que cela, cet épisode fondateur, forçait l’admiration. Après, c’est Paris, et les rencontres dont elle fait un destin. Henri Langlois l’accueille, elle envoûte Abel Gance, bien sûr, Philippe Soupault en 1955, André Breton, en 1956? la croisent par hasard mais ne la lâchent plus…Elle, Nelly, croyait aux forces décisives et savait, notamment pour Breton, rencontré dans une exposition d’art précolombien, que quelque chose allait advenir…
Pages très connues dont elle a très bien parlé, dans des entretiens, des livres, des films. Le plus bel hommage à Nelly Kaplan est signé ce matin Marie-Noëlle Tranchant : Nelly Kaplan était sa marraine de journalisme et se livrait avec une sincérité profonde à son interlocutrice-miroir…Il faut lire leurs entretiens…
C’était bien après les premières années de la beauté argentine qui faisait beaucoup penser, à des années de distance, évidemment, à une autre farouche et lumineuse venue d’Argentine, la peintre Leonor Fini. Comme Nelly, très sensible aux univers oniriques, aux chats, au surréalisme et aux univers parallèles. Sensibles aux créatures du monde, fussent-elles fées ou sorcières, anges, démons, et jusqu’aux monstres. Femmes sensibles, sensuelles, audacieuses, et très secrètes en même temps.
Dès 1954, elle assiste Gance pour La Tour de Nesle et joue Alice. Le film sort l’année suivante. Dès Austerlitz, en 60, si elle joue Madame Récamier, elle dirige la seconde équipe.
C’est elle qui applique le procédé de la « polyvision » à J’accuse.
Dès ces années là, elle écrit, publie. Des histoires souvent un peu vénéneuses, érotiques, mystérieuses. Des textes qui seront plusieurs fois republiés, sous d’autres formes : elle a un pseudonyme, Belen pour a Géométrie dans les Spasmes, Délivrez-nous du Mâle et La Reine des Sabbats.
Elle ne brise pas, loin de là, avec le 7ème art, tournant des courts-métrages très beaux Le peintre Gustave Moreau, l’écrivain André Pieyre de Mandiagues avec qui elle entretiendra une longue correspondance, publiée par Tallandier en 2009;
Elle compose des portraits très lumineuse du cinéaste de génie qu’elle a accompagné longtemps : Abel Gance hier et demain, en 1963, et, vingt ans plus tard, un film d’une heure : Abel Gance et son Napoléon.
Avec Le Regard de Picasso, elle reçoit un Lion d’or à Venise en 1967.
Quelques années auparavant, elle a rencontré Claude Makovski, cinéaste, producteur. Ensemble, ils fondent Cythère films, leur société de production. Ce sera le triomphe, en 1969, de La Fiancée du pirate avec Bernadette Lafont dans un rôle extraordinaire de fille à part…Vraiment à part et grand coeur ! Les jeunes ont peut-être oublié, mais ce fut un triomphe, une joie. Et le film repasse depuis quelque temps, après avoir été longtemps un peu oublié…
Autre pas de deux très important dans la vie de Nelly Kaplan, le travail de camarades très actifs, avec le réalisateur et scénariste, le comédien, Jean Chapot. Depuis Nea adaptation gentille de la sulfureuse -pensait-on alors- Emmanuelle Arsan, jusqu’à la mort de cet artiste qui signa de nombreux films, avec sa co-scénariste, pour la télévision.
Toujours sur le pont, ardente, très belle, irrésistible dans les conversations, curieuse, active, elle tint plusieurs années durant la critique cinématographique dans les colonnes du Magazine Littéraire, des bijoux ciselés et brillants, bienveillants.
Elle continuait d’écrire, publiant des romans, d’étranges histoires. Il faut lire sa correspondance avec Abel Gance : Mon Cygne, mon Signe (éditions du Rocher, 2008) et le dernier ouvrage qu’elle ait composé, Entrez, c’est ouvert (L’Age d’Homme, 2016).
Une très grande personnalité, une femme unique. D’essence théâtrale.