Elle est tellement talentueuse qu’elle revivifie un texte souvent monté au théâtre. Dans « Lettre d’une inconnue » de Stefan Zweig, sous la direction de Bertrand Marcos qui déploie beaucoup de tact, elle est merveilleuse. Déchirée, enfantine, audacieuse, admirable femme blessée et combattante.
Ne croyez surtout pas que vous ayez déjà vu sur une scène l’adaptation du texte de Stefan Zweig, Lettre d’une inconnue. On ne récuse en rien le talent d’interprètes qui ont précédé dans ces dernières années, du XXème au XXIème siècle. Des comédiennes sensibles, souvent très belles, séduisantes, émouvantes.
Saluons Sara Biasini, que l’on n’oublie pas et pour qui ce rôle, dans une mise en scène de Christophe Lidon, avait été un accomplissement, dans la maturité et la sensibilité. Elle n’était pas seule en scène, Frédéric Andreu, par sa présence, donnait une consistance séduisante à l’être aimé, écrivain à succès.
Au Studio des Champs-Elysées, rien de tel. Le plateau est entouré de monumentaux voilages. L’espace ainsi délimité est occupé en son centre par une banquette simple, sobre. C’est signé Sarah Tessier et Anissa Beriel. Pas d’autre décor, mais des lumières de Patrick Clitus, du son et de longues bouffées de la musique de Vienne et d’ailleurs au temps de l’action (Mahler, au premier plan), le tout extrêmement bien dosé par Clémence Reliat et Jules Fernagut.
C’est comme si Ophélia Kolb était enveloppé de voiles arachnéens. Son costume ? Un déshabillé de soie ivoire sur une combinaison noire à parements de dentelle. Une robe de cour, une robe de fée dessinée par Marion Xardel.
Rien de tel. Elle est seule. Elle arrive par le fond de la salle, la petite salle, longue et bruissant des voix bienveillantes d’acteurs et d’actrices de légende. Elle avance entre les deux côtés des fauteuils. Vulnérable. On peut la toucher. Elle est pieds nus. Son déshabillé de soie vole derrière elle, comme l’écharpe d’Iris sous un soleil trop ardent. Il n’y a plus que cette couleur. Parois de nacre et d’ivoire qui mènent au-delà des apparences, pourvu qu’on les franchisse.
Elle s’adresse à nous. Nous prend à témoins. Bertrand Marcos la prive de partenaire, mais s’appuie sur quelques voix off, à commencer par celle de l’homme dont l’héroïne est tombée follement amoureuse, mais d’autres aussi. Cela donne un supplément d’irréalité poétique à ce moment fascinant de théâtre.
Ne faisons pas ici un quelconque résumé de l’argument : soit vous vous en souvenez, et c’est délice vénéneux de tout retrouver, soit vous ne savez rien et cette histoire, unique mais aussi à moirures universelles, vous déchirera.
Les superlatifs sont impuissants à dire la beauté et l’art subtil d’Ophelia Kolb. Près d’une heure trente durant, allant et venant selon des chemins naturels, elle s’adresse à nous. Proximité d’un regard, finesse déliée d’une silhouette, voix claire et tendre, passant de la confidence au cri de douleur, de l’apaisement mélancolique à l’incompréhension et la colère. De la soumission pathétique, consentie, à la révolte que sans cesse elle retourne contre elle-même. Passion d’une adolescente de treize ans, dans ces années-là et à Vienne, et dans cette famille…
Elle pourrait être du XXème siècle ou du XXIème tant rien n’a changé de l’aveuglement passionnel. C’est cela que réussissent magistralement l’adaptateur metteur en scène Bertrand Marcos et sa merveilleuse interprète, Ophelia Kolb. Une grande, une très grande artiste.
Studio des Champs-Elysées, à 21h00 du mercredi au samedi, dimanche à 16h00. Durée : 1h20. Jusqu’à la fin de l’année. Tél : 01 53 23 99 19.