Avec sa femme, Micheline, il aura fait éclore bien des talents : auteurs, comédiens, metteurs en scène, journalistes. Il s’est éteint hier. Il avait 87 ans. En attendant de rédiger l’hommage qu’il mérite hautement, nous publions, avec l’accord de « L’Avant-scène théâtre », un article inscrit en 2021 dans le cadre d’un dossier sur le théâtre et la radio.
Lucien Attoun, le passeur de rêves
Avec les magazines d’information, avec le « Nouveau répertoire dramatique » et la création de Théâtre Ouvert, il est l’une des personnalités qui aura fait le plus pour l’écriture contemporaine.
Jouer, mettre en scène, imaginer un décor, régler des lumières, monter une production, élaborer une tournée, Lucien Attoun est d’abord un homme de théâtre complet, qui a très tôt grandi dans une passion profonde pour l’art dramatique et la scène, une passion qui ne s’est jamais éteinte. Chaleureux, accessible, curieux des autres, il est l’une des personnalités les plus attachantes et les plus influentes du monde du spectacle vivant de ces soixante dernières années. Evidemment, aujourd’hui, il est d’abord l’homme qui, avec sa femme Micheline, a fondé Théâtre Ouvert, inventant la notion de « mise en espace », mettant en lumière et soutenant des auteurs nouveaux, les publiant, ne les lâchant jamais.
Mais il est aussi un homme de radio unique, qui aura passé plus de trente-cinq ans sur les ondes de France-Culture, informant avec des magazines vifs et déliés, faisant découvrir des auteurs nouveaux par le truchement du « Nouveau répertoire dramatique ». Sa voix, chaleureuse, accueillante, sa vivacité, son humour, traduisent sa forte personnalité.
Né le 8 septembre 1935 à la Goulette, le port de Tunis, il est arrivé en France en septembre 1948. Dès l’école, il a glissé peu à peu vers le théâtre, se retrouvant au cœur même des foyers innovants, du groupe de théâtre antique de la Sorbonne à la fondation de sa propre compagnie. Mais ceci est une autre histoire, celle de sa formation et celle du théâtre, des années 50 à la fin des années 60. A un moment de sa vie, Lucien Attoun, qui avait rencontré dès leur plus jeune âge, la blonde Micheline, la retrouve et l’épouse. Leur parcours est fondé sur ce dialogue essentiel. Attoun et Attounette comme les appelait tendrement Jean-Luc Lagarce.
Lucien Attoun ne s’éloigne pas du théâtre le plus vivant en devenant critique dramatique. Ses avis sont influents, son écriture colorée, tout en images. Il est partout où palpitent la jeunesse, les grands étrangers inconnus en France, les formes nouvelles. A Paris et dans la région parisienne, à Nancy. C’est parce qu’elle a remarqué ses articles dans la revue Tréteaux 67 que Claire Jordan lui propose de participer à l’émission qu’elle anime, La Matinée du théâtre. « Je suis entré à France Culture pour un quart d’heure et j’y suis resté trente-six ans. »
Il faudrait un livre, et il existe (1) pour retracer l’importance de Lucien Attoun dans le repérage, la mise en valeur, le rayonnement des auteurs –et par conséquent des metteurs en scène, comédiens, des équipes techniques et artistiques- dans le monde du théâtre contemporain. Pierre Sipriot, directeur de France Culture, à la fin des années soixante, lui confie le choix des pièces à mettre en ondes. Le Nouveau répertoire dramatique est né. De 1969 à 2002, Lucien Attoun harmonise ces créations, soucieux que les textes soient traités par des hommes et des femmes qui en mesurent l’intérêt. Il lance également les « Radiodrames », formes de 28 minutes. D’autres grandes personnalités contribuent à la vitalité du théâtre sur les ondes. Alain Trutat, notamment.
C’est son grand travail à la radio qui va conduire Lucien Attoun à être approché par Jean Vilar, soucieux de textes du temps : ce sera Théâtre Ouvert en 1971 (nom d’une collection qu’il dirige chez Stock), la chapelle des Pénitents Blancs et les « mises en espace ». Des années extraordinaires qui conduisent naturellement à l’installation au Jardin d’Hiver, en 1981 et en 88 à l’obtention du titre de centre dramatique national de création.
On ne saurait épuiser tout ce qu’ont entrepris Lucien et Micheline Attoun. Mais Koltès, Minyana, Rambert, Lagarce, Renaude, Chalem, des dizaines d’auteurs ont été mis en lumière grâce à eux et, aujourd’hui encore, s’ils n’ont plus de responsabilités officielles, ils demeurent des vigies, attentives et aimantes.
- Pour un théâtre contemporain, propos de Lucien Attoun recueillis par Antoine de Baecque, Actes Sud, 2014. Prix : 22,80€.