Questions de nécessité

Des thèmes graves, des traitements plus ou moins adéquats, des talents indéniables, mais peu de moments mémorables, d’émotions profondes.

Pas un jour sans théâtre. Depuis fin août, les nouveautés éclosent comme fleurs au printemps. Les spectacles de cette saison, derniers feux de l’été, sont, en général, prévus pour durer jusqu’à la fin de l’année. Ils sont loin d’être tous très originaux, convaincants ou simplement séduisants. Cet article date de dimanche 7 septembre.

Depuis, et dès le lendemain, nous avons vécu quelques soirées bien intéressantes.

On a évoqué « Art » de Yasmina Reza, une comédie féroce, efficace, merveilleusement ravivée par le trio de François Morel, Olivier Broche, Olivier Saladin au grand Montparnasse. On donnera une belle place au Mariage de Figaro mis en scène par Léna Bréban, une des plus belles distributions de la rentrée, avec Philippe Torreton dans le rôle-titre. A applaudir à La Scala.

Que dire ?  Au Belleville, le très dérangeant texte de Lukas Bärfus, Le Voyage d’Alice en Suisse, scènes de la vie de l’euthanasiste Gustav Strom, est monté de telle manière que l’on plonge dans le désarroi le plus profond. S’appuyant sur la traduction stricte d’Hélène Meuler et René Zahnd d’après l’allemand (éditions de l’Arche en 2011), Stéphanie Dussine, comédienne, formée comme danseuse, également, metteuse en scène de textes proches ou très contemporains (Mayenburg, Mouawad, Copi), dirige un groupe d’actrices et acteurs et joue ellle-même.

Elle a confié le rôle d’Alice, toute jeune fille qui veut mourir, à une interprète assez peu convaincante, sans doute peu dirigée qu’elle est. On ne peut pas accabler Anne-Laure Denoyal, mais on ne croit à aucun moment à la souffrance du personnage ni à sa détermination. Pas plus que l’on ne comprend clairement qu’on puisse la montrer enfilant un sac en plastique sur sa tête, pour enfin mourir.

Dans la pièce de Barfüss, l’auteur irrésistible des Névroses sexuelles de nos parents (montées en France et très bien, le plus souvent), il y a un humour grinçant, des scènes méchantes, une cruauté, une absurdité féroce, dans le texte. Mais il date. Depuis son écriture, près de quinze années ont passé. Tout a évolué.

La mise en scène est faible, sottement illustrative de scènes lourdes –les maillots de bain- et le propos se perd. Un protagonistes domine : le Docteur Gustav  Strom. La forte personnalité de Nicolas Buchoux lui donne une ampleur certaine. Mais il est presque toujours du côté d’une certaine clownerie et cela désamorce les enjeux de la pièce. Toujours une question de direction de jeu. Une longueur d’une heure trente flottante. Recommander ce spectacle à partir de 16 ans n’est pas très loyal.

Bien plus attachant et porté par une nécessité vitale, morale, joué avec une émotion très touchante, dans l’amitié rayonnante, est, dans le même Théâtre de Belleville, Frangines de Fanny Mentré, dans une mise en scène et une interprétation de Fatima Soualhia Manet. C’est Frangines, parce que l’auteure et la comédienne le sont. Et liées par un certain passé des familles. Elles sous-titrent le texte : « Et on ne parlera pas de la guerre d’Algérie. »

On ne détaillera pas ici les flux et reflux d’une mémoire, on ne récapitulera pas tous les événements qui affectent le « personnage ». On ressent la vérité de la voix de Fatima Soualhia Manet, au travers de l’écriture de Fanny Mentré. D’une copine à l’autre par le truchement d’une vie racontée avec fermeté. Ici, on ne s’interdit ni délicatesse ni brutalité ! Dans l’écriture comme dans le jeu.

L’une comme l’autre s’adresse directement à nous, les spectatrices, les spectateurs. L’une et l’autre nous prennent à témoin, mais légèrement, sans nous demander de juger ce dont elles nous font les témoins. C’est un très bel équilibre d’écriture et de jeu. Un travail très ténu et réussi, mais qui laisse aussi les sentiments nous submerger…

Théâtre de Belleville, tous renseignements sur les horaires au 01 48 06 72 34. theatredebelleville.com