Aux Bouffes Parisiens, Ladislas Chollat dirige Valérie Karsenti, Pierre François Martin-Laval, Patrick Chesnais, plus survoltés les uns que les autres. Feydeau vous mettra de bonne humeur
Encore Le Système Ribadier ? Oui. Encore ! On se souvient de Léa Drucker et Bruno Solo, avec Gérard Darier, il y a plus de dix ans. C’était l’irruption du comédien, déjà familier du cinéma, sur la scène d’un théâtre… Il avait du nerf !!!! C’était à Montparnasse, une mise en scène de Christian Bujeau, avec aussi Gérard Darier, entre autres. Depuis, Bruno Solo n’a pas arrêté de revenir sur les planches et on peut l’applaudir actuellement dans 10 ans après de David Foenkinos, au Petite Théâtre de Paris.
Plus proche, la mise en scène de Zabou Breitman au Vieux-Colombier, avec les as de la Comédie-Française et un petit chien très doué…Laurent Lafitte, Laurent Stocker, Julie Sicard et autres pointures ! C’était en 2014.
Voici aujourd’hui la version de Lasislas Chollat qui réunit, dans les trois rôles de tête, la fine Valérie Karsenti, Angèle, veuve d’un Robineau qui la trompait éhontément. Elle a épousé Eugène Ribadier (comme cela pas besoin de refaire les chiffres de son linge, elle conserve les mêmes initiales…). Dans l’avantageux nouvel époux qui a un « système » pour mener sa vie sans qu’Angèle en sache rien, le malicieux Pierre François Martin-Laval, le fondateur des « Robins des Bois », excellent comédien.
Enfin, il y a Aristide Thommereux. Un amoureux transi d’Angèle. Parti soigner son désespoir au loin. Il revient de Batavia, avec son casque colonial ! Patrick Chesnais est cet homme ! Il est fabuleux.
Ajoutons une femme de chambre dévouée mais tourmentée par la libido, Elsa Rozenknop, un coquin de séducteur en la personne du chauffeur de la maison, Emmanuel Vérité, et enfin le mari de l’actuelle maîtresse de Ribadier, Savinet, Benoît Tachoires.
Un décor en noir et blanc qui se révèlera cinétique comme une œuvre d’art optique, Ladislas Chollat imprime un mouvement très vif à la représentation.
Il a imaginé une kyrielle de petits détails de comportements qui insuffle un tour immédiatement burlesque au spectacle avec les contorsions répétées pour entrer et sortir de scène, les démarches, les cadences…etc
Mais il n’écrase en rien la psychologie, le vernis de psychologie qui nous séduit aussi dans Feydeau : sans cela on ne s’identifierait pas à ce point aux personnages et l’on rirait moins, on resterait extérieur.
On rit ! On rit beaucoup car la comédie en trois actes, écrite par Georges Feydeau avec Maurice Hennequin, n’a pas pris une ride. Elle est brillante et délirante, elle va vite, elle charrie les répliques formidables et les comédiens sont d’autant plus excellents qu’ils sont d’abord sincères.
Sincère, Benoît Tachoires, Savinet bougon et intéressé, sincère, Elsa Rozenknop, très drôle, sincère, ce jouisseur de Gutzmann, avec sa veste de cuir noir de chauffeur de maître.
Dans les trois rôles de tête, on retrouve cet engagement, cette vérité…mais ces trois-là jouent aussi avec quelque chose d’une légère irréalité, comme en légère lévitation…et justement, vous verrez la belle surprise que vous réserve ici « le système » de Ribadier vu par Ladislas Chollat et son équipe artistique : Eric Supply, assistant à la mise en scène, ingénieux décor d’Emmanuel Charles, lumières d’Alban Sauvé, très beaux costumes de Jean-Daniel Vuillermoz, accordés aux noirs et blancs du décor, musiques bien trouvées par Frédéric Norel.
Le trio, on l’a dit, est idéal. Aristocratique et délicate, Valérie Karsenti est séduisante et touchante –car évidemment, les femmes, ici, ne sont pas traitées avec grande noblesse…mais Angèle se défend ! Pierre François Martin-Laval se dépense sans compter pour ourdir ses trahisons conjugales. La mauvaise foi de Ribadier est extraordinaire et, dans cette mise en scène, il est toujours pressé, toujours au bord de la rupture d’équilibre, physique et psychique…C’est épuisant de mentir et de courir…Il est très drôle !
On ne sait quel élixir de jouvence a absorbé Patrick Chesnais, mais il retrouve l’énergie de sa jeunesse ! Il est incroyable. Il a les cheveux blancs, mais il atteint des sommets dans le jeu, la manière virtuose de dire le texte, de se faire entendre, de bouger, de casser son corps, de danser même, d’être à la fois un pantin et un homme blessé ! Un immense interprète que l’on est heureux de retrouver en si grande forme ! Il est un Thommereux jamais ridicule, et pourtant grotesque parfois. Un Thommereux bouleversant, et pourtant insupportable. Un sommet de l’art du jeu.
Ladislas Chollat signe une très bonne version du chef-d’œuvre créé en 1892, mais qui a quelque chose de frais et nous touche, directement….
Théâtre des Bouffes Parisiens, du mercredi au samedi à 21h00, samedi à 16h30 et dimanche à 15h00. Durée : 2h00. Tél : 01 42 96 92 42. Pour plusieurs mois.