Avec son époux, comédien et metteur en scène, Etienne Bierry, elle fit la petite salle de Montparnasse, qu’ils dirigeaient ensemble, une magnifique pépinière de talents. Il s’était éteint en juillet 2015. Elle l’a suivi dimanche, jour de son 94ème anniversaire. Rendez-vous le vendredi 12 avril, à 11h30, au Crématorium du Père-Lachaise.
Nous republions ici, avec l’aimable autorisation des Editions de l’Avant-Scène, un portrait de Renée Delmas, composé pour un numéro spécial de la revue, consacré au Poche-Montparnasse, Plus tard, lorsqu’Etienne Bierry et Renée Delmas choisirent de céder leur théâtre à Philippe Tesson, il suivit leur voie, comme le fait à son tour Stéphanie Tesson.
Nous avons laissé ce portrait tel quel, à quelques corrections sur les verbes, près. Il a été écrit en novembre 2010.
Nous le complétons par la fin, en quelques mots.
Renée Delmas était une femme de cœur et de tête. Une grande femme qui a marqué l’histoire du théâtre privé parisien en inspirant les mesures de soutien, les dispositifs techniques, financiers qui ont permis, des années durant, la création, le renouvellement, la vie de ce réseau dont le Poche est un des maillons essentiels.
Née le 31 mars 1930 à Chauny, dans l’Aisne, Renée Delmas a grandi dans une famille de la bourgeoisie commerçante. Son père, Roger Delmas, est originaire de Bergerac où ses parents étaient de prospères tonneliers. Ingénieur électricien, il travaille dans le Nord de la France où il rencontre sa future femme. Il possède un tempérament d’inventeur. Il met au point des postes de radio nommés « Sans souci » qui symbolisent sa réussite certaine et confortent une assise matérielle adossée à des biens, des terres transmises par sa famille. Plus tard, cet original qui ne pense qu’à aider ses enfants, installera le premier jeu d’orgue du Poche. La mère de Renée Delmas est une femme intelligente et aimante. Renée Delmas a deux frères aînés : Robert, qui a sept ans de plus et suivra les cours des Beaux-Arts, Pierre, deux ans de plus, qui sera photographe.
Interne au lycée de Saint-Quentin, Renée Delmas est une brillante élève qui saute sa cinquième et poursuit ses études sans problème jusqu’en classe de philosophie. Elle pense faire sa médecine. Mais un jeune professeur de lettres, sans doute un peu amoureux de ce beau et grand brin de fille, blonde sculpturale au caractère enjoué, lui conseille de suivre des cours de théâtre et la jeune fille va faire un stage d’art dramatique au Lycée Janson de Sally. On est en 1947-1948. Elle est convaincue que le théâtre sera sa vie et enchaîne avec les cours Dullin, Simon et le cours Solange Sicard, grandes adresses de l’époque où elle côtoie notamment Jean-Louis Trintignant, Stéphane Audran, et tant d’autres.
Roger Delmas qui voit ses trois enfants devenir étudiants à Paris souhaite les aider. Il va acheter un hôtel pour les loger. C’est l’Hôtel Star, rue Bachelet, au pied de la Butte Montmartre…Verlaine et Rimbaud ont hanté ce quartier exaltant.
Renée Delmas commence à travailler, ici ou là, dans les petits théâtres. C’est en jouant au Poche dans une pièce consacrée aux époux Rosenberg qu’elle apprend qu’il est à vendre. Son père Roger va l’acheter. On est à l’orée des années 50. Un théâtre, c’est bien ! Mais comment faire ? Son ami, la comédienne Odette Piquet lui conseille d’aller trouver un certain Etienne Bierry qui fait des étincelles à la radio et vient de lancer une opération avec le théâtre du Tertre (le Ciné 13 aujourd’hui). Elle se présente : « Je viens de la part d’Odette Piquet que je connais et de Paul Crauchet que je ne connais pas ». Paul Crauchet est déjà l’époux d’Odette Piquet. Etienne Bierry se souvient de « la grande Viking que j’ai vu surgir » (Elle est encore blonde et changera la couleur de ses cheveux à trente ans…pour faire plus directrice !). Au moment de la rencontre, Etienne Bierry est marié, il a deux enfants…mais l’histoire du Théâtre de Poche est aussi l’histoire d’un coup de foudre et d’un couple de passionnés de théâtre. Ils ne se marieront qu’en 1961. Leur fille Marion Bierry est née le 7 janvier 1959, Stéphane Bierry, leur fils, est né le 19 novembre 1963.
Au Poche, qui est en piteux état, la première campagne de travaux commence. Il y en aura d’autres. Notamment en 1983, lorsqu’une deuxième salle, en sous-sol, a été aménagée. Renée Delmas va encore jouer parfois : dans Les Radis creux de Jean Meckert, elle reprend le rôle de Silvia Monfort, passe une audition devant Jean-Marie Serreau qui l’engage pour Amédée ou comment s’en débarrasser d’Eugène Ionesco au Babylone. Plus tard, en 1970, le hasard voudra qu’elle reprenne ce rôle, dans la mise en scène de la pièce par Etienne Bierry, au Poche, remplaçant Eléonore Hirt en vacances et en tournée.
Mais l’essentiel de la vie de Renée Delmas aura été de « tenir » le Poche comme elle tenait sa maison de Thiais et élevait ses enfants. Aujourd’hui le Poche lui appartient en nom propre. Les murs et le fonds de commerce qui est « à usage de théâtre ou de tout autre commerce à l’exclusion d’un night club ». Etienne Bierry en serait l’usufruitier en cas de disparition. Longtemps, avec le système du fonds de soutien au théâtre privé et l’apport de la compagnie dramatique subventionnée d’Etienne Bierry, avec des hauts et des bas, bien sûr, Renée Delmas a réussi à maintenir à flots la frêle embarcation. C’est devenu beaucoup plus difficile aujourd’hui, le fonds de soutien apportant moins d’argent aux productions et la concurrence, souvent déloyale de lieux qui n’appliquent pas les règlementations professionnelles, ayant totalement transformé le paysage.
Dans son bureau de directrice, présente du matin au soir, Renée Delmas aura été déterminante, on l’a dit, dans la mise au point des dispositifs d’aide, de soutien, de partage. Elle a d’ailleurs été membre de la Commission d’aide à la création théâtrale et trésorière du Fonds de soutien. Mais Renée Delmas aura été aussi une lectrice d’exception. Au Poche, et tous les auteurs de France et de Navarre le savent, les patrons lisent les textes. Etienne Bierry et Renée Delmas auront passé l’essentiel de leur vie à défendre les écrivains. Les repérant, les accueillant, les produisant, les suivant. Prenant des risques, sans cesse. Sous le nom de Dominique Delayre, Renée Delmas a signé l’adaptation de L’Ecornifleur de Jules Renard, un des spectacles très emblématiques du travail de la famille. Etienne Bierry met en scène cette version dans des décors de Victor Salageanu, le mari de Marion Bierry. Plus tard, Marion Bierry à son tour en donnera une version et le mettra en scène. Passage de flambeau au cœur du théâtre…
Fatigués, il était né en 1918, elle en 1930, Etienne Bierry et Renée Delmas songent à transmettre leur théâtre. Ils le cèdent à Philippe Tesson en 2011. Le lieu rouvre après une longue campagne de travaux, en 2013. Stéphane Bierry, comédien, sa sœur aînée Marion, sont présents, parfois, au Poche-Montparnasse. Dans quelques jours, aura lieu la reprise d’un des merveilleux spectacles mis en scène par Marion, Le Menteur de Corneille. Avec, dans le rôle-titre, son propre fils, Alexandre Bierry…A la création, Stéphane Bierry était aussi de la partie. Ainsi la famille Bierry-Delmas est-elle toujours présente dans ce lieu pas comme les autres.