Au Théâtre de la Ville, vendredi soir, a eu lieu une « commémoration » ordonnée par l’artiste lui-même, quelques jours avant la mort, le 31 juillet 2025, à l’âge de 83 ans.
On avait hésité à se rendre jusqu’au Théâtre de la Ville. On savait qu’il serait question de silence et de quelques paroles. C’était impressionnant. On craignait d’être indiscret en assistant à cette étrange cérémonie.
Sur le mince livret remis aux spectateurs, invités amis ou spectateurs admirateurs, une très belle photo en noir et blanc de Robert Wilson, de trois quarts profil gauche, chemise blanche sous col sombre, main sur la bouche, regard d’une clarté de source, cheveux courts bien peignés avec une raie sur le côté, du volume. Un air d’enfant, un air de jeune homme, un air très américain avec ce haut front légèrement bombé et cette coiffure d’éternel étudiant, dégageant bien l’oreille fine.
Une très belle photographie, un portrait magnifique.
Dans le livret, quelques indications. En quatre langues. Anglais, français, allemand, italien. Les langues de New York, Paris, Berlin, Milan. Quatre villes où Robert Wilson a souhaité dire adieu au public, quatre villes où il a aimé travaillé, beaucoup travaillé.
« Robert Wilson est décédé le 31 juillet 2025, ) l’âge de 83 ans. Au cours des dernières semaines de sa vie, il a imaginé et défini quatre « Commémorations » publiques, des cérémonies publiques à organiser dans quatre villes particulièrement importante pour sa vie et sa carrière : New York, Paris, Berlin et Milan. »
Il est question, également, dans ce document, de silence et de l’importance de John Cage dans sa pensée. Le silence ne lui fit jamais peur et il ne se lançait jamais dans la parole dans un temps de silence.
Peu à peu se remplit la salle. Le public anonyme, plus vite et plus calmement que les prestigieux invités, artistes ayant eu le privilège de travailler avec lui, mécènes, amis, journalistes. Cela froufroute et frémit. Vers 20h10, Isabelle Huppert se glisse au premier rang, après une dernière mise au point en coulisses.
Et soudain tout se tait. Plus de 900 personnes font silence, comme ayant reçu intérieurement, une injonction. Tombent dans le silence comme on dit en anglais. C’est incroyable. Seule la lumière varie, découvrant le plateau vide, avec un pied de micro et un objet qui pourrait être un rétro-projecteur et qui ressemble de loin aux anciennes et disparues boîtes de souffleur…
Le haut rideau passe du noir profond au gris anthracite. Cela palpite imperceptiblement. C’est très beau. On rentre en soi-même. On est dans une méditation sans anxiété. On se souvient des rencontres avec Bob Wilson, des spectacles. Des éblouissements. Des fascinations.
Une demie-heure de silence complet. Une toux, par ci par là. Et voici que Jack Lang surgit du premier rang, prend l’escalier, se place devant la pied de micro. A lui de briser le silence. Rude tâche.
Il rappelle Nancy, le Festival International de Théâtre, que, jeune étudiant, il avait créé avec Monique, son épouse, quelques amis et amies et le soutien des commerçants de la ville… Il rappelle une certaine nuit d’avril et la création du Regard du sourd. Il lit la célèbre lettre de Louis Aragon à André Breton. Une grande époque artistique et intellectuelle.
Frêle de silhouette et forte de pensée et d’amitié, Isabelle Huppert prend la parole pour raconter comment elle a rencontré l’univers de Robert Wilson, très tôt, en Iran, à l’occasion d’un festival évidemment englouti par les tourmentes de l’Histoire…Un mot de conclusion : elle l’aime.
Charles Chemin, haute silhouette, comme un frère de Wilson, directeur artistique du Watermill Center, le lieu de création et de partage, d’invention grave et spirituelle, intervient. Il est le plus proche de Bob Wilson, depuis des années. Il emploie des mots que les personnes qui ne connaissent que les spectacles et la beauté formelle ne peuvent imaginer. Ainsi évoque-t-il un homme « hilare ».
Dans un ascenseur de Watermill, alors qu’il vient d’apprendre qu’il est « perdu », que dit-il : « Mais alors qu’est-ce qu’on fait ? » Et il rit. Hilare. Le témoignage de Charles Chemin est bouleversant et en même temps léger, drôle. Robert Wilson était un artiste ultra sensible, accessible au plus profond et tragique et à la dérision.
Un artiste qui nous éclaire pour toujours.
Puis vint la sublime violoniste Jennifer Koh. Avec sa perruque rouge, et sa finesse, son énergie, sa poésie, et Bach et au-delà.
Sublime prière sans autre dieu que la beauté, l’esprit, l’au-delà.