Aux Abbesses/Théâtre de la Ville, l’adaptation d’ «Histoire de la violence» constitue un spectacle remarquable, extrêmement bien conçu et interprété.
Adaptant un livre très bouleversant du jeune Edouard Louis, Thomas Ostermeier réussit à conserver et l’originalité et la puissance de l’écriture de l’écrivain.
Il faut dire qu’il a composé cette adaptation avec Edouard Louis lui-même et avec son dramaturge, Florian Borchmeyer.
Le résultat est remarquable, qui soutient un spectacle exceptionnellement réglé, d’une invention de tous les instants et audacieux. Le spectacle se donne en langue allemande, puisqu’il s’agit d’une production de la Schaubühne Berlin. Très lisibles sont les surtitres, placés dans le champ de vision des spectateurs : on ne lâche pas un instant les comédiens.
Un musicien, à cour, accompagne discrètement la représentation qui se déploie sur deux heures très vite envolées, car les rythmes et la construction complexe sont efficaces et soutiennent sans faiblesse l’attention du spectateur, qu’il ait ou non lu le livre d’Edouard Louis.
Derrière sa batterie, attentif, impliqué, délicat, Thomas Witte.
Au fond, un écran sur lequel sont diffusées des images, pour la plupart captées, avec une maestria époustouflante, par les interprètes eux-mêmes avec leurs téléphones portables.
Une manière supplémentaire, pour Thomas Ostermeier, de nous plonger dans le monde, ici et maintenant.
Il ose ici, même des instants de danse, qui s’intègrent parfaitement. Il y a ici, intelligence et joie mêlées, maîtrise sans raideur de la représentation.
Quatre comédiens seulement, sur le plateau. Deux d’entre eux incarnent les protagonistes du drame : le blond, mince, d’une jeunesse lumineuse, Laurenz Laufenberg, Edouard, et le brun, barbu, sans doute un peu plus mûr, Renato Schuch, Reda, le garçon d’origine kabyle qui transforme une rencontre de hasard en épisode très traumatisant…
On le sait, c’est un épisode réel de sa vie que raconte Edouard Louis. Un soir de Noël, après un réveillon, les livres qu’on lui a offerts pour tout bagage, il se laisse tenter par un jeune homme très beau…
Les premières images sont l’irruption des enquêteurs qui, dans leurs combinaisons blanches, recherchent les traces de l’agression…Ils sont trois. Renato Schuch lui-même, et les deux autres comédiens, Alina Stiegler, Clara, la sœur d’Edouard, et une femme médecin, une infirmière, une policière et Christoph Gawenda, le mari de Clara, Alain, mais aussi, la mère d’Edouard et Clara, et encore un policier, un infirmier, un médecin.
Dans cet éventail d’apparitions, l’ironie des regards s’impose et, notamment lorsque surgit la mère, le souvenir de la mère… Humour qui libère, qui permet des respirations par-delà les tensions. Et trajets que l’on admire, car ils sont en ruptures vives, précision du jeu, sur des scènes denses et éloquentes. Alina Stiegler et Christophe Gawenda sont formidables et rigoureux jusque dans les moments presque farcesques…
Edouard est donc incarné par quelqu’un qui n’est pas sans lui ressembler, physiquement. Il y a Laurenz Laufenberg, tendre, timide, hésitant puis s’abandonnant, et sa voix intérieure que l’on entend parfois ; face à lui, séduisant autant qu’inquiétant, Renato Schuch, joue sur les arêtes de l’ambivalence du personnage.
Ce que raconte Histoire de la violence, ce n’est pas un fait divers, une nuit de cauchemar ; non, c’est la société d’aujourd’hui et ses préventions, ses peurs, ses grilles de lecture teintées de racisme obtus. Au-delà des faits, cette analyse est magistralement lisible.
Théâtre de la Ville aux Abbesses, à 20h00 du mardi au samedi, dimanche à 15h00. Durée : 2h00. Tél : 01 42 74 22 77. En langue allemande avec de très lisibles surtitrages. Jusqu’au 15 février.
theatredelaville-paris.com
L’adaptation est publiée par les éditions du Seuil sous le titre « Au cœur de la violence » (14€).