Guy-Pierre Couleau s’appuie sur l’adaptation de Peter Brook et dirige un groupe d’excellents interprètes conduits par Benjamin Jungers dans le rôle-titre.
Un privilège : aller au théâtre en ces temps de fermeture des salles et d’interdiction du large public. La Tragédie d’Hamlet s’est donnée au Théâtre 13-Jardin, très bien réhabilité, une salle où l’on reverra cette très bonne version en février prochain…
Guy-Pierre Couleau connaît l’espace du Théâtre 13-Jardin : on n’a jamais oublié son formidable Baladin du monde occidental, donné sur ce plateau presque circulaire, enveloppé des gradins. C’était il y a plus de vingt ans.
Depuis, il a traversé bien des univers et dirigé dix ans durant (2008-2018) la Comédie de l’Est de Colmar, centre dramatique national. Il avait été comédien avant de se lancer dans la mise en scène. Il est rigoureux et fidèle. Il a construit, au fil du temps, une famille d’esprit, une troupe informelle et fertile.
Après avoir monté La Conférence des oiseaux du regretté Jean-Claude Carrière, spectacle qu’il avait créé au Printemps des comédiens, dont le grand écrivain, chaman du sud, était co-fondateur et président, il a choisi la traduction de ce poète clairvoyant, traduction signée également Marie-Hélène Estienne d’après l’adaptation audacieuse qu’en fit Peter Brook, il y a bien des années. Peter Brook présenta cette Tragédie d’Hamlet en 2000, au Théâtre des Bouffes du Nord, avec Adrian Lester dans le rôle-titre.
Sur le plateau en arrondi du Théâtre13-Jardin, des chaises dépareillées. Pas d’autres éléments scéniques hors un banc d’école et sous le premier tapis sombre, un autre, fond blanc et dessin noir dans lequel on peut deviner, si l’on veut, une tête de mort, que l’on dévoile au moment de la scène des acteurs (voir la photographie). Une scénographie de Delphine Brouard, animée par les lumières de Laurent Schneegans et le son et la musique de Frédéric Malle.
Huit comédiens seulement pour, en deux heures vives, fluides et sans micro –une rareté de nos jours- donner la beauté et la complexité de la tragédie la plus célèbre et sans doute la plus jouée au monde.
Les costumes de Camille Pénager sont du jour, dans une sorte de neutralité efficace. Le costard-cravate de Nils Ohlund, Claudius, suffit à fixer le personnage dans ses communes faiblesses. C’est le jeu qui dira la scélératesse. Hamlet lui aussi est ainsi. Mais il suffit d’une cravate desserrée, pour qu’il soit autre. De même pour la Gertrude d’Anne Le Guernec, un peu chic province sur ses talons aiguille…Le jeu dira son ambivalence. Et ainsi…
On n’est pas certain que la charmante et douée, et touchante Sandra Sadhardheen soit avantagée par son costume, même s’il lui permet de danser le désarroi, le chagrin, la folie.
Mais c’est un détail et l’équipe a forcément pris ces décisions pour des raisons solides.
On l’a dit, ils sont seulement huit : Nils Ohlund, le traître Claudius est aussi le spectre. Polonius, le père d’Ophélie, Emil Abossolo M’Bo sera aussi le fossoyeur. Les très bons Thomas Ribière et Bruno Boulzaguet, fins et déliés, seront respectivement Guildenstern, le second acteur, Laërte, et Rosencrantz, premier acteur, autre fossoyeur. Horatio est porté par un Marco Caraffa, tout en discrétion et fidélité.
Une adaptation souveraine, huit interprètes ligués dans l’excellence, et un metteur en scène qui possède l’art de raconter, d’approfondir sans jamais surligner, de guider sans enfermer, laissant à chacun sa liberté et l’expression de sa personnalité. C’est franchement un travail remarquable dont nous reparlerons lorsque la tournée débutera et qu’enfin les sourdes tutelles auront admis, comme le disent toutes les études les plus sérieuses, que les théâtres sont des lieux, comme les salles du cinéma, où le virus circule très peu et où les contagions et autres clusters sont inexistants.
Chacun appellerait une analyse précise et participe à la force du spectacle. On est heureux de retrouver Benjamin Jungers qui mûrit sans vieillir et qui déploie ici, en toute subtilité, en partageant chaque scène, chaque mot, en ne quittant jamais le jeu avec ses camarades, son talent sûr et sa lumière.
Bref, une formidable production, forte et vive, tout en retenue, sobriété : et pourtant ce travail est bouleversant d’intelligence et d’émotion.
Spectacle vu au Théâtre 13-Jardin et que l’on devrait revoir le 30 septembre à Auxerre, le 9 novembre à Château-Gonthier, en hiver 2022 à Bagneux, du 8 au 19 février à Paris, au Théâtre 13-Jardin.
Durée : 2h00.