Une étrange obsession

Au Théâtre Essaion, une femme, seule en scène, parle de l’enquête qu’elle a menée pour comprendre qui était celle qu’elle avait croisée, curieuse apparition revenue à la surface par un atroce assassinat.

Une femme. Grande apparemment. Blonde. Surgissant sur un plateau que rien n’encombre, n’était cette longue malle que l’on nomme « flight case ». Fugitivement, on pense à un cercueil.

Une femme blonde, en pantalon, dans des tons clairs, s’adresse au public de la salle, la grande salle du Théâtre Essaion. Elle se nomme Florence Huige. Elle est comédienne. Mais, ici, la comédienne s’efface : c’est la femme, la citoyenne dirait-on un peu maladroitement, qui s’exprime.

Elle a été interloquée par une rencontre. On en fait beaucoup, des rencontres. Surtout dans les grandes villes aux énergies puissantes; Quand on dit « rencontre », on ferait mieux de dire qu’elle a croisé le chemin d’une femme. C’est en automne 2011, à Paris. Elle a des cheveux orange, elle porte des sacs plastiques. La narratrice; qui se promène avec son amie Samia nous dit que cette dernière lui a proposé de l’aider. Mais la femme aux cheveux orange est sur la défensive, se dit menacée. Glisse qu’elle se nomme Sara. Elle parle un bon français, mais avec un fort accent.

Des mois passent. La femme aux cheveux orange surgit à la une des journaux. Elle a été assassinée en plein Paris, avec deux autres femmes. Elles sont kurdes. On est en janvier 2013. Des articles éclairent la personnalité de Sakine Cansiz, dite Sara dans le combat. Cinquante-cinq ans et jetée en prison dès ses 21 ans, en Turquie Torturée, humiliée. Une légende pour les Kurdes. Fondatrice, avec d’autres, et des hommes, évidemment, du PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan.

Frappée, Florence Huige éprouve la nécessité d’écrire ce que lui inspire Sakine. De la rencontre bizarre à l’enquête qu’elle entreprend, elle a écrit un long récit. Elle avoue découvrir le destin du peuple, des groupes kurdes d’Irak, d’Iran, de Syrie, de Turquie.

Elle détaille beaucoup ses premières démarches. Trop sans doute parce que il y a quelque chose de légèrement flottant dans ce texte, vite épuisé pour l’essentiel puisque l’on sait tout assez rapidement. Une heure trente, seule en scène la plupart du temps, debout, comme la combattante qu’elle est, Florence Huige patine parfois. Elle se déplace. Enlève telle pièce de vêtement, la remet. S’enveloppe de soie rouge. Prend la voix de Sara.

Très bien dirigée par Morgane Lombard qui parvient à introduire des ruptures, des changements de régime dans la narration, Florence Huige rayonne d’une autorité sororale. La vraie histoire, c’est son intérêt passionné pour cette femme étrange. Elle se renseigne sur le destin des Kurdes. Elle apprend, elle prend fait et cause.

Sans doute ce moment aurait-il plus de force s’il était un peu resserré. Pas coupé, mais densifié. Florence Huige n’a d’autres appuis que son coeur, sa sincérité. Et, parfois, la musique d’Isssa Hassan qui vibre dans les lumières de Maurice Fouilhé.

Théâtre Essaion, les mercredis et jeudis à 21h. Durée : 1h30. Jusqu’au 30 avril. Tél : 01 42 78 46 42;