Né dans une famille d’artistes, avec un père violoniste virtuose, Luben Yordanoff, il aura illuminé bien des scènes de sa haute silhouette aristocratique depuis ses vingt ans, pas encore sorti du Conservatoire où il fut l’élève de Pierre Debauche et d’Antoine Vitez.
Il avait eu 66 ans le 28 mars dernier. Un cancer fulgurant l’a emporté. Il s’est éteint hier, 6 octobre, en Normandie.
Il avait débuté à vingt ans, en 74, avec Stuart Seide (Troïlus et Cressida de Shakespeare à l’Ecole Normale). Le plus français des jeunes artistes américains le conduisit jusqu’aux Quartiers d’Ivry, l’un des lieux les plus aimés du public à cette époque. En 1975, Dommage qu’elle soit une putain, de John Ford, avec Wladimir qui n’est pas Giovanni, mais Florio et Laurence Roy, est un événement. Suivent La Vie est un songe de Calderon, Mesure pour mesure, encore Shakespeare qu’ils retrouveront des années plus tard avec Le Songe d’une nuit d’été en 1982. La période Ivry se clôt avec Moby Dick d’après Herman Melville en 1978.
Dès de moment, Wladimir Yordanoff commence à tourner : pour la télévision avec Les Dames de la côte de Nina Companeez en 1979 et, au cinéma, dès l’orée des années 80, avecde très importants réalisateurs : Wajda (Danton et plus tard Les Possédés), Margarethe von Trotta (L’Amie), Zulawski (L’Amour braque). Mais c’est avec le monde d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri qu’il se fait connaître du grand public. Cédric Klapisch pour Un air de famille qu’il a joué au théâtre en 94, Le Goût des autres, par Agnès Jaoui, version films qui connaissent un très grand succès.
Wladimir Yordanoff a écrit des pièces sensibles et touchantes. Sa famille venait de Bulgarie. Il s’intéressa à l’Est de l’Europe en composant Droit de retour qu’il avait mis en scène en 2000 au Théâtre Hébertot.
C’est toujours maladroit de tenter de saisir un si long parcours. Aussi loin que l’on se souvienne (et cela remonte donc à plus de 45 ans), Wladimir Yordanoff est idéal. Tout les metteurs en scène le réclament : Jean-Louis Thamin, Jean-Michel Rabeux, Bernard Sobel, Roger Planchon, Laurence Février, Jean-Louis Jacopin. Il se coule avec joie dans le monde d’André Engel, du Misanthrope dans un manège à la MC93 de Bobigny à Venise sauvée dans les eaux et les brumes d’Avignon. On le revoit aussi dans Maison de poupée en 87 à Aubervilliers, avec celle que l’on n’oublie pas –elle a changé de vie- Magali Renoire, sous la direction du regretté Claude Santelli. Et puis bien sûr, la saison suivante, Hamlet avec Gérard Desarthe dans le rôle-titre, sous la direction de Patrice Chéreau.
Mais c’est sans doute avec Alain Françon qu’il prend toute sa puissance de jeu, sa profondeur d’interprète. De Britannicus à La compagnie des hommes, de Racine à Bond, puis jusqu’à Vinaver (Les Huissiers, Les Voisins). Avec la même fermeté, la même hyper-sensibilité, il travaille longuement avec Christian Schiaretti de Mère courage et ses enfants et L’Opéra de Quat’sous à l’extraordinaire Coriolan de 2006 à 2009, mais aussi Créanciers, puis Mademoiselle Julie de Strindberg, Solness le constructeur d’Ibsen.
Avec Alain Françon, à nouveau, on l’applaudit dans Solness le constructeur d’Ibsen, dans Toujours la tempête de Peter Handke, dans Le Temps et la chambre de Botho Strauss. Trois magnifiques productions d’institutions subventionnées : TNS, TNP, Colline, notamment.
C’est au théâtre privé, qu’Alain Françon qui ne méprise pas ce secteur de la création, met en scène, à la demande de Frédéric Franck, Qui a peur de Virginia Woolf ?d’Edward Albee. Avec Dominique Valadié et Wladimir Yordanoff qui va recevoir pour son rôle le molière 2016 du meilleur comédien.
La saison dernière, il retrouvait Hébertot, où avait été créée sa pièce Droit de retour, pour En garde à vue de John Wainwright, spectacle interrompu par le confinement.
Au cinéma, il avait interprété Auguste Mercier dans J’accuse de Roman Polanski, le grand-père dans L’Aventure des Marguerite de Pierre Coré, film très original sorti en juillet dernier. Et on le retrouvera dans le film de Nicolas Bedos qui doit sortir en 2021, OSS 117 : alerte rouge en Afrique noire.
Un superbe chemin pour un artiste qui nous manquera toujours. Il était élégant et discret, subtil. Une grande personnalité et un homme bon, généreux. Irradiant une lumière en sourires désarmants et silence.