Au Rond-Point, dans « J’avais ma petite robe à fleurs », un texte de Valérie Lévy mis en scène par Nadia Jandeau, la sensible interprète déploie les douloureuses interrogations d’une jeune femme qui a été violée et tente de se remettre, face à une caméra très bien tenue par Valentin Morel.
Il est rare que l’on soit empli d’un sentiment d’enthousiasme au sortir d’un récit éprouvant…Et pourtant, c’est ce qui arrive avec J’avais ma petite robe à fleurs, texte d’une femme très connue et admirée du monde du théâtre, Valérie Lévy. Une belle blonde aux cheveux bouclés, mince comme une liane, chaleureuse, très intelligente. Une étoile de l’univers de François Morel et de sa galaxie de talents, associée depuis quinze ans à sa société, Les Productions de l’Explorateur. Parce qu’elle ne cesse de mettre en valeur les autres, on aurait pu oublier qu’elle écrit depuis un certain temps. Des pièces, Les Règles du jeu, Les Petits Carrés et un roman, Les Petites Douleurs, publié au Cherche-Midi.
J’avais ma petite robe à fleurs est un texte magistralement pensé, construit, composé. Valérie Lévy l’a écrit il y a plusieurs années. Ce n’est pas un drame qui lui soit arrivé. Elle avait vu à la télévision un reportage sur une jeune anorexique qui se livrait complètement à une caméra intrusive. Cela l’avait scandalisée, sur le moment. Et puis elle s’était dit que la jeune femme n’avait pas trouvé d’autre solution pour se libérer.
Et, parce qu’il y a en elle un écrivain, elle a aussitôt « vu » J’avais ma petite robe à fleurs. Elle a vu Blanche Baillard, elle l’a vue dans son studio de Caen, elle a vu comment elle se livrait à une sorte de concours organisé par une télévision : on confie à une femme agressée, violée, une caméra, et à elle de se raconter. On choisira les cinq « meilleures »…
Charge puissante contre la téléréalité, empathie pour une jeune femme dans la détresse et la solitude qui a pourtant tout fait « bien » : elle a parlé, elle a accepté de reconnaître les violeurs, d’affronter la justice. Mais rien qui puisse la délivrer.
Ce qui est exceptionnel, ici, c’est que tout est entre les mains de femmes et d’hommes rares. Dès 2018, Valérie Lévy a sollicité Nadia Jandeau. Elle est comédienne alors, mais elle est une cinéaste également. Elle a l’idée que la caméra soit tenue par un personnage. Un homme tout de noir vêtu, comme un manipulateur de marionnettes. Il ne filme que si la jeune femme le lui demande d’un geste de la main. Il apporte la présence double de l’homme : le premier auditeur, celui à qui l’on se confie, ici. Mais celui aussi qui peut-être menaçant. Comme si la caméra était un autre risque de viol. Cela n’est en rien exprimé, mais agit sur les consciences. Et en même temps il est justement l’être de la réconciliation.
Valentin Morel est cette présence forte, silencieuse.
Dans une scénographie très bien pensée et simple d’apparence, une poubelle, un grand frigidaire rutilant, une table pleine de médicaments, un canapé, un portant de vêtements, des panneaux, transparents ou opaques, pour les images et pour des corridors qui mènent à l’arrière : scénographie signée d’un maître, Edouard Laug. Ajoutons les lumières de Laurent Béal et Didier Brun, le son et la musique de Simon Blévis, la vidéo et la direction technique de Guillaume Ledun, et une assistante à la mise en scène, Violette Delmas, vous tenez une équipe exceptionnelle.
Qui serait peu de choses sans l’interprète absolument magnifique qu’est la jeune et frêle Alice de Lencquesaing. Son talent profond, sa sensibilité, son intelligence, sa grâce, sa puissante présence ne sont pas des nouveautés. On la connaît. Au cinéma comme au théâtre, elle est toujours étonnante.
Ici, c’est encore plus. Elle sert admirablement le propos. On la croit, on croit en ce personnage fragile et fort à la fois. On croit à sa rébellion. Car Blanche a beau se soumettre au leurre de la téléréalité, elle demeure rétive. En quête. Elle oscille, comme l’aiguille tremblante d’une boussole affolée, et, en même temps, elle est un « personnage combattant ». La voix, la silhouette, la légèreté et la densité, la photogénie extraordinaire, tout ici laisse le spectateur médusé et bouleversé.
Une histoire de viol, sordide, épouvantable. Et puis on voit une très jeune femme qui se relève. Valérie Lévy a donné vie par l’encre même et sa lucidité à Blanche. Elle avait prévu la vidéo. Nadia Jandeau donne un admirable accomplissement à ce va-et-vient fascinant, trouve les justes déplacements, dirige avec une grande subtilité les interprètes, Alice de Lencquesaing et Valentin Morel.
Au cœur, au centre, il y a Alice de Lencquesaing, d’une évidence déchirante.
Théâtre du Rond-Point, salle Roland-Topor, à 20h30 du mardi au samedi, dimanche à 15h30 sauf le 13. Tél : 01 44 95 98 21. Durée : 1h15.
Représentations jusqu’au 27 mars au Rond-Point, puis, le 31 mars au Théâtre Jean-Vilar de Suresnes.