L’art du repentir selon Max Frisch

Dans la grande salle du Rond-Point, Frédéric Bélier-Garcia renoue avec une œuvre qui avait marqué ses débuts de metteur en scène, Biographie, un jeu. Un exercice à la Pirandello qui voit l’affrontement de personnalités puissantes. Isabelle Carré, Ana Blagojevic, José Garcia, Jérôme Kircher, Ferdinand Régent-Chappey en sont les remarquables protagonistes.

On a un fort souvenir de la première version de Biographie, un jeu, présenté autrefois par Frédéric Bélier-Garcia. Il ne s’agissait pas de ses débuts absolus de metteur en scène, mais il entamait à peine son chemin. C’était au siècle précédent, en 1999. On n’a pas oublié la fluidité, l’étrangeté angoissante parfois, la jeunesse des interprètes, Emmanuelle Devos, Eric Elmonsino, le meneur de jeu, le diable peut-être, et François Berléand, Emilie Farge (et Ninon Brétécher), David Migeot. Des parois qui glissaient, un labyrinthe, mais presqu’immatériel, comme si l’enfermement était celui des esprits et les peurs irraisonnables.

La plus naturelle des scènes…Non ? Photographie Giovanni Cittadini Cesi. DR.

On attendait la brune Golshifteh Farahani, mais c’est la blonde, très hollywoodienne, pour l’occasion, Isabelle Carré qui incarne l’énigmatique –et agaçante- Antoinette. Froide comme une femme d’Hitchcock, menteuse, certainement, cette Antoinette…Non ? Avec son timbre clair, sa minceur de liane, l’innocence feinte de la femme coupante comme une herbe d’été, Isabelle Carré/Antoinette, envoûte les autres personnages comme le public.

Angoissante comme dans un film américain, et lui ? Sans doute beaucoup plus lucide qu’il ne lui fait croire… Photo Giovanni Cittadini Cesi. DR.

José Garcia, rare sur les planches, est d’une rigueur d’acier. C’est comme si la retenue du comédien, qui doit avoir un peu le trac, lancé sur ce grand plateau, avec ces fauves de partenaires, c’est comme si son élégante retenue était traduction de la vérité intime de l’homme qu’il incarne avec sensibilité. Qui est donc Kürmann ? Peut-il ainsi reprendre sa vie, les événements de sa vie sans avoir signé un pacte diabolique avec celui qui prétend n’être qu’un « meneur de jeu », mais qui manipule chacun et dont devine combien il se réjouit de ces événements à rebonds, lui, le maître du billard à trois bandes ? Dans cette partition, Jérôme Kircher, avec ce qu’il y a de diaphane en lui, cette lumière, ange et démon, cette écoute, ce grand art, est formidable, aussi tendre que terrifiant, en fait.

Le « dialogue » Kürmann/Meneur de jeu, diabolique échange, est formidable. Et la traduction de Bernard Lortholary (Arche éditeur) est aussi vive, fluide qu’efficace. A l’arrière, discret mais essentiel, Simon Froget-Legendre est au piano….

Mais cette pièce ne se joue pas à trois, mais au moins à cinq et ici, les « assistants » qui se démultiplient sont remarquables et donnent ses justes tonalités à la représentation. Ana Blagojevic, belle et changeante, toujours précise et pleine de charme et Ferdinand Régent-Chappey, très étonnant dans les ruptures de ton, la rapidité des transformations. Il est, comme ses aînés, dans la jubilation du jeu. Un jeune virtuose.

Le diable, probablement…José Garcia, debout, dans l’angoisse de Kürmann et le Meneur de jeu ambivalent de Jérôme Kircher. ¨Photographie de Giovanni Cittadini Cesi. DR.

C’est un beau travail. Frédéric Bélier-Garcia, long chemin, très divers, renoue avec cette œuvre à la Pirandello. Il le fait avec intelligence et sensibilité.

Le décor est un peu lourd, inutilement.

« Et si c’était à refaire, que changeriez-vous, que corrigeriez-vous et d’où reprendriez-vous le cours des choses pour tenter de l’inverser ? ». La question est terrible, qui s’adresse à chacun…

Théâtre du Rond-Point, salle Renaud-Barrault, à 21h00 du mardi au samedi, dimanche à 15h00. Durée 1h50. Jusqu’au 3 avril. Puis du 3 au 7 mai, à Marseille et du 11 au 14 mai à Nice.

Tél : 01 44 95 98 21.

www.theatredurondpoint.fr

Attention à l’acoustique de la salle Renaud-Barrault