Alice Dufour, l’irrésistible irrésolue

Alice Dufour est une « Mademoiselle Else » tourmentée, contradictoire, dans les excellentes adaptation et mise en scène de Nicolas Briançon du chef-d’œuvre de Schnitzler

Souvent on retrouve la malheureuse héroïne d’Arthur Schnitzler. Souvent des comédiennes fines et sensibles incarnent la jeune fille manipulée par les adultes, à commencer par sa mère. La nouvelle, car il s’agit bien d’une nouvelle, a été publiée en 1924. Il y a un faisceau de personnages dans le texte. Il est d’autant plus saisissant que l’écrivain autrichien nous laisse découvrir les pensées fluctuantes d’Else. Il déploie ici tout son art, sa compréhension des êtres, lui, le contemporain de Sigmund Freud, lui qui sait tout de ce que l’on pourrait encore nommer « la psychologie des profondeurs ».

La situation est terrible. Else, en villégiature dans un hôtel très chic d’une station thermale italienne, doit affronter un épouvantable dilemme. Elle est loin de ses parents, qui sont demeurés à Vienne. Ravissante et impatiente, Else profite de ce séjour, entre mondanités et sport, rêves d’avenir et sourdes angoisses. Sa mère lui écrit pour lui demander de présenter une requête à un homme qui séjourne dans le même hôtel, Dorsday, marchand d’art d’un âge certain. Le père d’Else, avocat, a perdu au jeu tout l’argent qui lui avait été confié et risque d’être arrêté s’il ne trouve pas une somme assez considérable à emprunter. Acculés, certainement vaguement conscients que le charme de leur fille peut jouer, ils exigent d’elle une démarche humiliante.

Dans sa jolie robe dessinée Mar Michel Dussarat, Alce Dufour/Else reçoit la lettre toxique de sa mère. Photographie de Pascal Gély. DR.

Le vieux Dorsday sait qu’il les tient et demande à Else de se mettre nue devant lui.

Peut-elle accepter, va-t-elle accepter ?

C’est Philippe Tesson qui a demandé à Nicolas Briançon une nouvelle adaptation. Le comédien et metteur en scène a pris le parti d’un monologue : les protagonistes disparaissent. Else est seule et Alice Dufour seule en scène. Mais la production, très soignée, l’enveloppe harmonieusement.

Ravissante et perdue, dans un autre des costumes imaginés par Michel Dussarat. Photographie de Pascal Gély.

Un décor astucieux qui se joue intelligemment de l’espace, contraint mais plein de charme, de la salle du bas, « le petit Poche ». Les lumières sublimes et si inventives de Jean-Pascal Pracht sont un véritable partenaire de la comédienne, comme l’est la vidéo d’Olivier Simola. Il y a aussi, simplement, les voix enregistrées d’Anne Charrier, Michel Bompoil, François Vincentelli, Magali Lange, Cécile Fisera. Un sens de l’utilisation très fluide de l’espace par Nicolas Briançon qui guide l’interprète avec fermeté et douceur, tandis que la musique et le son, dosés avec tact par Emeric Renard, ajoutent une densité à la représentation. L’ensemble est aussi bouleversant que tenu. Et il y a même place pour les sourires, le rire, au gré des pensées de cette héroïne rare.

Sous l’ombre inquiétante d’un homme qui veut profiter de la situation. Photographie Pascal Gély. DR.

D’une beauté solaire, très enfant et très femme à la fois, dans les robes, les costumes extraordinaires imaginés par Michel Dussarat, maître qui sait exalter la féminité, Alice Dufour, très joli timbre, articulation précise, regard très clair et mystérieux, est de toutes ses fibres, avec un naturel époustouflant qui traduit le travail musical, la perspicacité de la comédienne, Mademoiselle Else. En elle, Schnitzler a imaginé toutes les contradictions, toutes les irrésolutions. Sans exagérer ces vibrations intérieures dangereuses, Alice Dufour laisse apparaître les fissures qui vont s’élargir et briser ce jeune être. C’est un travail magistral, une version remarquable, idéale de Mademoiselle Else.

Théâtre de Poche-Montparnasse, du mardi au samedi à 21h00 et le dimanche à 15h00. Durée : 1h25. Tél : 01 45 44 50 21.

www.theatredepoche-montparnasse.com