Au Belleville, avec la relève

Trois filles, deux garçons, deux régisseurs, un metteur en scène, Tudual Gallic, qui ont choisi le très bon et prémonitoire texte de Frédéric Sonntag, « George Kaplan ». Du théâtre encore frais. Mais bien plus intéressant que bien de lourds spectacles.

Les spectateurs qui ne connaissent pas la pièce de Frédéric Sonntag intitulée George Kaplan doivent avoir en tête que cet artiste très doué l’a composée en 2012. Il y a plus de dix ans. Elle résonne aujourd’hui différemment que lors de la création. Encore plus intéressante, encore plus « actuelle ».

On ne vous racontera pas ici le détail de l’intrigue en trois mouvements qu’a imaginée le dramaturge, car, il y a, dans le plaisir que l’on peut prendre à la découvrir, un savant mélange de suspens, de mystère, de menaces, de complots étranges, au-delà de croquis assez féroces de notre société.

Ce sont des jeunes, jeunes femmes et jeunes hommes de théâtre, qui ont choisi de se l’approprier. Le metteur en scène, Tudual Gallic a suivi une formation d’ingénieur. Mais il est passé par le cours Florent. C’est de cette école que viennent la plupart des comédiens, avec chacun son parcours personnel. La mise en scène marque la formation de la compagnie « Les Unes et les Autres ».

Tudual Gallic a vraiment du talent et de l’autorité. La pièce n’est pas simple, même si elle est fascinante. Il doit diriger ses camarades sans oublier de les conduire à des variations continues et des ruptures, puisqu’il y a trois volets différents. Le metteur en scène, qui lui aussi est, par ailleurs, comédien, possède un très bon sens du rythme. Il sait dessiner les mouvements, les changements, les chemins de chacun.

Un décor simple et efficace, des lumières assez présentes et dont on comprend bien les modifications et donc, avec deux régisseurs, Joanna Khalaf et Nicolas Robinet, cinq comédiens. Plus de filles que de garçons ! Une rareté grâce à Frédéric Sonntag dont le spectacle jeune public L’Enfant océan, d’après Jean-Claude Mourlevat, continue de tourner. Ne le ratez pas.

On ne peut que saluer l’énergie, l’intelligence du jeu des cinq interprètes. Béatrice Paquet est déjà assez professionnelle dans sa présence, discrète et frappante en même temps. Elle a été formée au Luxembourg et l’on devine une excellente filière !  Elle a de l’assurance, mais sans démonstration. Claire Tabard, elle, a été jusqu’en Grande- Bretagne, en Angleterre, à la London Academy of Music and Dramatic Arts. Elle aussi, de manière différente, mais sûre et tendre, impose les différents personnages qu’elle défend. Elle a une fermeté sans raideur, une personnalité déjà bien affirmée. On la reverra. Elle travaille par ailleurs avec un groupe d’humoristes : et l’on devine fugitivement qu’elle peut être drôle, en plus !

Même si l’on regrette les influences un peu fortes dont elle doit se dégager, Léa Darmon-Raphoz est ravissante et vive, et sans doute a-t-elle des registres différents : mais le premier tableau est un peu affecté par sa manière de parler haut, en une modulation qui est celle de Sara Mortensen dans une série de télévision dans laquelle elle incarne une autiste aux vocalisations particulières. Mais ensuite, elle trouve plus de naturel, mais toujours en se surveillant un peu trop. Elle doit oublier toute coquetterie.

Les garçons sont eux aussi bien intéressants. Kevin Abgrall s’est formé en jouant sous la direction de professionnels cultivés, et, si l’on comprend bien, après des études de médecine, a choisi le Cours Florent. Il sait aller au-delà des croquis et ses talents d’auteur-compositeur-interprète soutiennent la musicalité de son jeu. Lucas Berger, lui aussi, possède des qualités très professionnelles. Une présence, une évidence. Une subtilité dans les nuances très variées des trois mouvements.

Le spectacle est bien mené. Demeure mystérieux, séduisant. Saluons cette équipe talentueuse et sympathique et souhaitons-lui bonne route !

Théâtre de Belleville, à 21h15 du mercredi au samedi, durée : 1h40. Tél : 01 48 06 72 34. www.theatredebelleville.com

Jusqu’au vendredi 31 mars. Textes de Frédéric Sonntag en vente sur place.