Christophe Rauck, clarté du passage

De Lille à Nanterre, « Dissection d’une chute de neige » de la Suédoise Sara Stridsberg, dessine le chemin d’un théâtre toujours exigeant qui repose sur une direction subtile, une interprétation sensible. A suivre, donc

Une longue boîte de verre qui ne pivotera que vers la fin, une longue boîte de verre dans laquelle tombe une neige douce qui a formé depuis longtemps un tapis moelleux dans lequel on peut disparaître.

La scénographie d’Alain Lagarde et les lumières d’Olivier Oudiou, induisent immédiatement l’idée d’un conte, comme si l’on n’était pas complètement dans la réalité. De même agissent les costumes de Fanny Brouste, et l’ensemble des éléments qui soutiennent la représentation : coiffures, maquillages, vidéo, notamment.

Après La Faculté des rêves, en 2020 -un spectacle que nous n’avons pas vu- Christophe Rauck revient à l’auteure contemporaine suédoise Sara Stridsberg et met en scène Dissection d’une chute de neige, pièce inspirée de la vie de la reine Christine, immortalisée par Greta Garbo.

Donné pour quelques représentations, au Théâtre du Nord, devant un public de professionnels et d’élèves, le spectacle devrait être repris en tournée à partir de novembre prochain, faisant notamment halte à Nanterre-Amandiers. Depuis le 1er janvier dernier, Christophe Rauck, après sept années à Lille, en est le nouveau directeur, tandis que Philippe Quesne a retrouvé une relative liberté : une compagnie et de nombreux projets pour un artiste très demandé.

Nous reparlerons longuement de ce travail à ce moment-là. Pour le moment, saluons les artistes, sans nous appesantir.

 S’il fallait glisser une réserve sur le spectacle, tel qu’il se présente, on dirait que par moments le texte de Sara Stridsberg, traduit par Marianne Ségol-Samoy (Arche éditeur) patine un peu. On a le sentiment que l’action n’avance pas, qu’il y a des redites, des scènes trop longues. Sans faiblesse de rythme ni de jeu, pourtant : on devine que le metteur en scène est heureux que chacun ait une belle partition et l’on constate que les très talentueux interprètes sont investis de tous leurs nerfs dans ces personnages de conte sinon de jeu de cartes.

Et reconnaissons que les deux heures dix que dure la représentation ne pèsent pas. Il y a une fluidité et des numéros de bravoure. Le jour où nous avons découvert Dissection d’une chute de neige, les jeunes invités étaient enthousiastes, touchés par ce qu’il y a de libre dans les sentiments et d’enthousiasmant dans l’harmonie esthétique de l’ensemble. Sous le charme, en quelque sorte.

Mais le drame gagnerait à être resserré, on en est certain et la suspension de quelques mois des représentations devrait produire une naturelle décantation…Et qu’ainsi les enjeux politiques qui innervent le projet d’une jeune auteure résolument féministe, apparaîtraient plus aigus.

On l’a dit, l’écrivain s’inspire de la vie de la reine Christine, qui, dans la réalité, fut bien loin de Garbo ou de Marie-Sophie Ferdane, qui, dans la mise en scène de Christophe Rauck, incarne une éblouissante jeune femme, grand caractère, audace. Et beauté éclaboussante… La véritable reine Christine, fille de Gustave Adolphe II, mort au combat en 1632, alors qu’elle n’a que six ans, n’était pas très belle, sinon ingrate, petite et mal à l’aise avec son corps.

Mais qu’elle fut d’une intelligence profonde, d’un désir de savoir large, qu’elle mit son autorité à juguler en elle toute féminité convenue, qu’elle fut une subtile diplomate, qu’elle se passionna pour les arts, les lettres, la philosophie et la science et voua à Descartes une amitié lumineuse, tout cela est avéré.

Cela n’intéresse pas Sara Stridsberg. Elle utilise la reine Christine pour une démonstration plus ou moins nuancée, féministe, politique, mais le jeu subvertit tout.

On l’a dit, nous reparlerons avec précision, du fond et de l’interprétation, à la rentrée. Mais saluons la formidable composition de Thierry Bosc, le père, le roi, le mort qui revient –comme dans Hamlet… ? Ce comédien singulier excelle à jouer sur les tableaux de la fable…tout en instillant quelque chose de vrai, de plus que vrai…Face à sa fille, il est irrésistible.

Saluons Carine Goron, Belle, l’amoureuse de la Reine, fine, déliée, charmeuse, saluons Murielle Colvez, aigüe Maria Eleonora. Ces comédiennes sont idéales.

Côté garçons, la distribution est également excellente : Christophe Grégoire figure le Pouvoir. Net et intransigeant personnage, vite débordé… Emmanuel Noblet, avec sa grâce d’éternel jeune premier, est un « Love », vif-argent, insistant mais rejeté, car ici l’héroïne impose sa loi et ses exclusions, malgré les remarques sensées et qui s’évaporent du Philosophe, le merveilleux Habib Dembélé.

Et puis bien sûr, longue, souple, pleine d’autorité, féroce et amoureuse, décidée et oscillante, Marie -Sophie Ferdane, belle, ravageuse, dans l’accomplissement de tous ses dons, de sensibilité, d’audace, d’esprit.

On l’entend : le bonheur ici tient à l’intelligence d’une mise en scène, le regard d’un artiste puissant dans ses pensées, ses visions, sa direction de jeu et doux dans ses manières, Christophe Rauck. Et à une équipe artistique d’excellence.

Prochains rendez-vous : France Culture le 25 avril, 20h00.

A l’automne, une tournée : Théâtre de Caen, les 18 et 19 novembre 2021. Théâtre des Amandiers-Nanterre, du 25 novembre au 18 décembre 2021. Autres dates à préciser : Le Quai, Centre Dramatique National d’Angers, Théâtre National Populaire de Villeurbanne, Théâtre de Lorient, Centre Dramatique National.