David Lescot, singulière comédie musicale

Ecrivain, compositeur, metteur en scène, l’auteur des Glaciers grondants excelle dans différentes disciplines. Avec « Une femme se déplace », il cherche à appliquer les codes d’un genre à succès. Mais il ne perd rien de son originalité.

Sur le plateau quelques tables d’une rigoureuse sobriété. Des personnages se font face. On met quelques secondes à comprendre : nous sommes dans un restaurant à la mode. La mode du rien. Les didascalies le disent : « Un restaurant blanc. Une salle remplie de gens déjeunant dans une ambiance zen ». On n’en dira pas plus : cette scène d’anthologie est l’irrésistible entrée en matière(s) –si l’on peut ou ose dire- d’un spectacle épatant qui rompt avec les tièdes soirées que l’on peut passer, ici et là, ces temps-ci.

Première scène ! Une scène d’anthologie qu’on vous laisse découvrir…DR

David Lescot déploie ici toute la palette de ses talents –et quelques-uns de ses petits défauts, également : on ne le fera jamais couper un spectacle, non qu’il tienne à ses écrits à ce point. Mais il aime donner beaucoup aux artistes qu’il embarque dans ses aventures.

Avouons-le : il nous semble qu’il pourrait sacrifier quelques moments, au profit de la représentation. Mais c’est broutille que dire cela.

Car on est emporté selon les variations d’espace et de temps qui sont l’essentiel de la structure narrative d’Une femme se déplace. Au présent de l’indicatif, comme The Lady vanishes, titre d’un film de 1938, d’Alfred Hitchcock. Rien à voir, sauf qu’il y a beaucoup de suspens dans la manière dont David Lescot déploie les aventures de Georgia, incarnée ici par la formidable Ludmilla Dabo  (qui reprend également Portrait de Ludmilla en Nina Simone avec David Lescot).

L’écrivain et metteur en scène, le compositeur, le dit : il a voulu écrire une comédie musicale, une vraie. Et l’on est bien dans ces codes, ces ruptures, cette fantaisie, cette joie également, qui sont le signe des petits chefs d’œuvre que l’on ne se lasse pas de retrouver. Beaucoup viennent des Etats-Unis.

Ici, c’est du made in France et du made in dans la tête de Lescot. Car, il est tellement original, qu’il a beau s’inspirer de structures existantes, interprétées évidemment, que c’est sa personnalité que l’on retrouve…

C’est une histoire de prise qui fait tout disjoncter…L’héroïne, Georgia, a 35 ans, et tout pour être heureuse. Elle est professeure de littérature en fac, elle est contente de sa vie, son mari, ses enfants, tout va bien…Et puis, patatras, tout tourne vinaigre et elle est si émue qu’elle confond un brumisateur et une prise pour téléphone, et c’est ainsi que tout saute…

La voici embarquée, comme nous, emportés, dans une kyrielle d’épisodes cocasses ou angoissants, avec chansons aux mélodies séduisantes, dialogues toniques, ballets très réussis.

Le tout interprété par des comédiens-chanteurs-danseurs, tandis que derrière un rideau transparent, les musiciens accompagnent continument la représentation. Anthony Capelli à la batterie, Fabien Moryoussef aux claviers, Philippe Thibaut, basse, Ronan Yvon, guitare. Dans Une femme se déplace, ils ne participent pas au jeu théâtral lui-même, contrairement à ce qui est souvent le cas dans d’autres pièces de l’écrivain.

Inutile de détailler les merveilleuses rencontres entre les « personnages » et les artistes : ce serait tout déflorer. Or, vous serez étonnés, éblouis par l’art sûr et audacieux que déploie ici chacun.

C’est l’une des grandes qualités de Lescot chef de troupe : il trouve, il fait débuter, il suit, il concocte les justes équilibres entre les interprètes et entre chacun et son ou ses personnages.

Des personnages ? Il n’y en a pas moins qu’une quarantaine ! Des femmes, des hommes, des adolescents, des vieux, des jeunes, des intellos, des employés. Tout un monde.

Onze, ils sont onze pour jouer avec celles qui ne sont qu’une : Ludmilla Dabo est Georgia seulement, Elise Caron est Iris, seulement. Candice Bouchet, Pauline Collin, Marie Desgranges, Emma Liégeois, côté de ces demoiselles, Matthias Girbig, Alix Kuentz, Yannick Morzelle, Antoine Sarrazin, Jacques Verzier, côté garçons, sont époustouflants. Ils courent, ils sautent, ils disent, ils chantent, ils sont sérieux et déjantés. Magnifiques.

Théâtre de la Ville aux Abbesses, à 20h00 du mardi au samedi et le dimnche à 15h00. Durée : 2h15. Tél : 01 48 74 77 22. Jusqu’au 21 décembre. Le texte est publié par Actes Sud-Papiers (13,80€). Puis en tournée à Sète les 27 et 28 février.