Iphigénie, un oratorio des ténèbres

Anne Théron met en scène la version composée par Tiago Rodrigues et traduite par Thomas Resendes. Elle opte pour une vision opératique et picturale d’une tragédie qui, comme chez Racine, se dénoue avec la liberté de l’héroïne.

C’est le spectacle qui a ouvert, avec En transit d’Amir Reza Koohestani, le 7 juillet à 18h00, cette édition du Festival d’Avignon. Une invitation aristocratique d’Olivier Py : honneur à Tiago Rodrigues, successeur désigné –et déjà au travail- à la direction de la manifestation.

On connaît cette version d’Iphigénie, composée par Tiago Rodrigues. Elle a été éditée aux Solitaires Intempestifs. Elle réunit tous les protagonistes de la tragédie antique en une sorte de lancinante reprise d’une formule : « je me souviens ». Chacun se souvient.

Anne Théron a toujours su manier les sons et les musiques, les lumières et les ombres, les voix des interprètes. Dans l’espace classique de l’Opéra de la place de l’Horloge, bâtiment réhabilité vibrant de souvenirs de grandioses créations, de Bob Wilson à Thomas Ostermeier, la scénographie de Barbara Kraft qui signe également les costumes, déclinaisons de noir, à l’exception des épaules d’Iphigénie, offre un développement en cinémascope de l’espace représenté, palpitant dans les lumières de Benoît Théron. Sophie Berger nourrit sans relâche le son et Nicolas Comte, les vidéos.

Voulue par la metteuse en scène, l’ouverture nous précipite dans un vacarme à la Apocalyse now qui apparaît comme une facilité, d’autant que c’est le silence que travaille ensuite Anne Théron. Le suspens, le furtif, l’évanescent et jusqu’à l’immobilité frémissante des protagonistes.

La distribution réunie subjugue : une Clytemnestre puissante, déterminée, Mireille Herbstmeyer, légende du théâtre. Humaine et rigoureuse, face à sa fille délicate qui ne prend la parole que rarement. Carolina Amaral possède la grâce sans faiblesse d’Iphigénie.

Vue large avec mer et ciel et personnages tous présents à vue. Une photographie de Christophe Raynaud de Lage. DR.

Deux autres femmes pour le chœur, Fanny Avram, Julie Moreau. Et des comédiens virtuoses : Vincent Dissez, Agamemnon, Alex Descas, Ménélas. Leurs échanges sont superbes et tenus sans crispation tout en affirmant leur opposition sans faiblesse. Joao Cravo Cardoso est Achille, Richard Sammut donne à Ulysse sa naturelle puissance. Dominant de sa haute stature, le grand Philippe Morier-Genoud se partage en trois partitions nobles.

Il y a quelque chose d’un oratorio. Plus de mise en place chorégraphiée (avec en plus de vrais moments de danse par Thierry Thieû Niang) que de mise en scène qui est absorbée, mais c’est le souhait d’Anne Théron, par l’arrière fond : bord de mer, images de l’attente des soldats, cieux noirs comme le plomb qui menace, grand tableau avec par moments, bien avant le sacrifice, les rugissements de la mer et les nuages qui défilent. Histoire de nous faire comprendre que le vent pourrait s’être déjà levé. Mais non, c’est un leurre. Une malice du destin.

Opéra Grand Avignon, jusqu’au 13 juillet à 18h00. Durée : 1h35. Texte publié aux Solitaires Intempestifs.