« Le K  » de Dino Buzzati, l’art de la métamorphose

Ils signent ensemble l’adaptation et la mise en scène. Grégori Baquet, qui joue, et Xavier Jaillard, qui demeure dans l’ombre, sont les artisans inspirés de ce moment de grand théâtre.

L’art. Le grand art. Pas besoin de s’étendre longuement : Le K, conte bref –et très cruel- qui donne son titre à un recueil de l’écrivain italien (1906-1972) Dino Buzzati, est un chef-d’œuvre de la littérature universelle. Et, Le K, le livre, est un ensemble magistral et envoûtant qui date de 1966, très longtemps après le célébrissime Désert des Tartares, composé dès 1940.

Avec ce « K » qui est un banc ou un bateau, un objet apaisant ou inquiétant. Photo DR.

Xavier Jaillard excelle à transposer les textes non conçus initialement pour le théâtre, sur scène. Il y a plus de dix ans qu’il a donné une première version du K. Et c’est déjà Grégori Baquet qui apportait son supplément d’âme à la représentation. Xavier Jaillard est un grand homme du théâtre et du monde du spectacle en général.

Né sous le signe de Mercure, à la veille du débarquement de Normandie, brillant étudiant en lettres, il a été un moment professeur tout en commençant à écrire. Des chansons, tout d’abord, comme auteur-compositeur chez Barclay. Ce chemin le conduira à créer le Théâtre du Roy Lyre

On est en 1968 ! Son ami Francis Blanche est là. Pierre Dac aussi. Se produisent également tous les grands humoristes d’alors, ces chansonniers amoureux de la belle langue française qui manquent tant aujourd’hui et des comédiens, chanteurs, musiciens épatants. Jacques Fabbri, Robert Rocca, Maurice Horgues, Jean Amadou, Stéphane Grappelli et les jeunes, Marie-Paule Belle ou les frères Pierre et Marc Jolivet, pour n’en citer que quelques-uns. 

Depuis, Xavier Jaillard n’a jamais arrêté. Sur tous les fronts : l’écriture, la musique, mais aussi le jeu, le cinéma –comme réalisateur également- les adaptations, sans oublier cette Académie Alphonse Allais qui demeure un bastion de l’intelligence, de la fantaisie, de l’humour lettré !

Avec Le K il a accompli un travail exceptionnel. Grégori Baquet et lui ont avancé pas à pas. Il fallait de l’audace pour penser à transposer sur un plateau ces nouvelles à poussées fantastiques, ces récits très différents. Il y a dans cette adaptation une économie, une densité incisive de l’écriture –mais que l’on ne ressent que comme légèreté et esprit !

Il y a un peu plus de dix ans, c’est Grégori Baquet déjà –fils du merveilleux violoncelliste et comédien Maurice Baquet- qui s’était glissé dans l’univers étrange de Dino Buzzati.

Ils ont retravaillé et le résultat est enthousiasmant. Rien, presque rien sur le plateau. Un grand « K », une lettre monumentale mais maniable, en bois. Elle devient banc ou balançoire, objet familier ou inquiétant. Elle est idéale : ils l’ont imaginée et elle se pare de lumières signées Stéphane Baquet et de musiques de Frédéric Jaillard, sous le regard attentif de Victoire Berger Perrin.

L’affiche, un homme agrippé à sa machine à écrire, le comédien accroché à la machine à écrire de Buzzati, et ce grand « K » qui pourrait bien l’avaler tandis que coule l’encre, comme un sang noir, c’est d’une perfection graphique et d’une éloquence rares, aujourd’hui !

N’est ce pas qu’elle est formidable, cette affiche !

Il y a un rythme, une fluidité des enchaînements. Grégori Baquet, pantalon noir, chemise blanche, pieds nus. Lui aussi a suivi un chemin extraordinairement riche et divers. Cinéma, télévision, chant, jeu, mise en scène, il sait tout faire.

Il est particulièrement remarquable dans cette partition difficile qui demande une concentration et une précision de tous les instants, tout en ayant une légèreté de conteur. Ne pas avoir l’air grave, ne pas donner le sentiment de la difficulté, tout en jouant toutes les notes, en nous faisant tout comprendre des personnages de Dino Buzzati, de son imagination fantasque. Notons au passage que l’écrivain a composé de nombreuses pièces de théâtre !

Les deux amis ont retenu treize histoires et ont su trouver des enchaînements heureux. Car les humeurs sont changeantes, l’inspiration ne connaît pas de limites. Grégori Baquet apporte et son art profond de l’interprétation, une voix, un regard, une silhouette vive, et sa poésie lumineuse. Il inspire autorité et vulnérabilité, sagesse et candeur. Il est merveilleux et on est bouleversé par ce moment en haute mer littéraire, dramatique, poétique.

Théâtre Rive-Gauche, du mercredi au samedi à 19h00 et le dimanche à 17h30. Durée : 1h15. Tél : 01 43 35 32 31. www.theatre-rive-gauche.com