Avec Fantômes, dialogue qu’il a composé spécialement pour Hugues Quester et Laurent Charpentier, il évoque sa jeunesse et, en particulier, la figure de sa mère, flamboyante et neurasthénique, qui se suicida à l’orée des années 80. Délicat et bouleversant.
Il faut grimper jusqu’en haut du Théâtre de la Ville, dans cette salle qui fut longtemps lieu de répétition, et a été aménagée pour accueillir du public. Une intimité drapée de noir qui convient très bien à cette plongée. Un moment particulier, partagé par deux amis.
Philippe Minyana a écrit Fantômes il y a peu. On le connaît depuis ses tout débuts et l’on a toujours été sensible à ses écrits. Ses pièces, très délicates, souvent bouleversantes, et parfois très drôles, constituent l’une des œuvres très intéressantes de la littérature française contemporaine.
Les Fantômes, ici, surgissent alors que deux amis regardent des photos anciennes. On serait chez « Hugues », personnage qui doit beaucoup à l’écrivain lui-même et est incarné par Hugues Quester, et « Laurent » qu’interprète Laurent Charpentier, qui signe aussi la mise en scène. Au début, si l’on a bien compris, était un texte. Et il devint cette pièce en dialogues.
Un moment simple, bref, un moment rare et aussi ténu apparemment que puissant et profond. On serait donc, on l’a dit, chez Hugues et, avec son ami Laurent. Hugues fouillerait dans des boîtes, des albums, des tiroirs, et en sortirait de vieilles photos en noir et blancs, souvent petites, aux bordures dentelées, des photos des années cinquante-soixante, et d’autres, plus récentes. Un dispositif simple. On étale les photos par terre, on glisse dessus, comme sur des souvenirs dérangeants, douloureux. Jamais ici, on ne dit « sois sage ô ma mémoire ». On triture un peu les blessures.
Dispositif scénographique simple : ici un bureau, ici un fauteuil, au milieu, un écran sur lequel on projette des images. Mais pas forcément celles dont on parle. Tout tient à l’encre même de Philippe Minyana et aux deux virtuoses, magnifiques. C’est à nous qu’ils s’adressent. Ils nous prennent à témoin.
La tragédie obscurcit le ciel : la mère se suicide. La mère de Philippe Minyana. On dispersera ses cendres dans une forêt proche de la maison de l’enfance et de l’adolescence. Les deux amis ont essayé de retrouver cette maison. Mais les années ont passé, tout a disparu. Sauf la souffrance.
Les deux interprètes sont magnifiques. Discrets, pudiques, en harmonie avec l’écriture de Philippe Minyana. Quester, avec sa voix ample, sa coiffure de jeune homme ténébreux, son art et ses vulnérabilités, Charpentier, qui est plus jeune, avec sa vitalité douce et son attention à l’autre. Du vrai théâtre, simple, pur, et qui va loin.
Sur les murs de Paris, dans les couloirs du métro, l’affiche. Une femme en train de lire. Comme une apparition des fantômes d’autrefois. Lisant, calmement, concentrée sur son livre, belle dans sa robe qui semble blanche. Fantôme troublant que l’on ne reverra plus jamais que par ces photos…La mère de Philippe Minyana.
Théâtre de la Ville-Sarah-Bernhardt, salle de La Coupole. A 20h00 du mardi au samedi, dimanche à 15h00, jusqu’au 3 mars, à 19h00 du 5 au 9 mars et le samedi à 15h00. Tél : 01 42 74 22 77 ; theatredelaville-paris.com
Le texte est publié, avec d’autres, par Les Solitaires Intempestifs, « Théâtre, 2021-2023 », 17€.