Solitude d’un rôle-titre

Georges Lavaudant met en scène pour la troisième fois Le Roi Lear de William Shakespeare. A la tête d’une belle distribution, dont François Marthouret en Gloucester, et Manuel Le Lièvre, en fou, Jacques Weber n’apparaît pas au meilleur de ses talents.

Au théâtre, on est soumis aux aléas des représentations. On sait bien que, d’un jour à l’autre, un spectacle peut s’affermir et les interprètes prendre de l’assurance, quand ils peuvent apparaître parfois très faibles ou imprécis. Mais on est bien obligé de s’en tenir à ce que l’on a vu, ce que l’on a ressenti, analysé.

Lorsque nous avons assisté à une représentation du Roi Lear de Shakespeare, au centre dramatique de Normandie, à Caen, quelque chose plombait la représentation. Et c’était l’interprétation du rôle-titre par Jacques Weber.

On sait bien que c’est autour de son nom que s’est élaborée cette production, mais, celui qui joua brillamment Cyrano et ne cesse de proposer des spectacles, n’a sans doute pas eu le temps de maîtriser sa partition. Concentré sur ce qu’il avait à dire, il en oubliait d’incarner et se contentait de donner de la voix. Un roi Lear seul. Solitude du rôle-titre, certainement. Solitude du vieux roi abandonné et bientôt saisi de folie.

C’est la troisième fois que Georges Lavaudant met en scène Le Roi Lear. Il le fit il y a très longtemps à Grenoble puis en 1995, à l’Odéon, dans une traduction de Daniel Loayza, qu’il adapte à nouveau aujourd’hui. A l’époque, c’est Philippe Morier-Genoud qui était Lear, comme il l’avait été, quatorze ans plus tôt, dans la cour d’Honneur d’Avignon, sous la férule de Daniel Mesguich.

Le trait de Lavaudant est sûr, le rythme rapide. Il a épuré, va à l’essentiel, comme quelqu’un qui connaît l’ouvrage et le maîtrise. Décor simplifié, belles lumières. Il y a du nerf, pas de doute et la distribution est de qualité. Les filles, Astrid Bas, la cruelle Goneril, Grace Seri, Régane, Bénédicte Guilbert, la bouleversante Cordelia, sont très bien, vraiment. Edmond, Laurent Papot, Edgar, Thibault Vinçon, sont très bien dessinés et sensibles, que l’un soit un scélérat et l’autre pas. François Marthouret, avec pudeur et retenue, impressionne et bouleverse dans la déchirante partition de Gloucester. Manuel Le Lièvre, comédien d’exception, est un fou merveilleux et apporte beaucoup au spectacle. Il joue deux autres personnages, et à chaque fois, il est neuf.

Tous les autres sont précis et donnent leurs justes poids aux personnages : Babacar M’Baye Fall, Kent, Frédéric Borie, Cornouailles, Thomas Durand, Bourgogne, Clovis Fouin, Albany,  José-Antonio Pereira, le roi de France, Thomas Tringeaud dans une série de rôles de messager, officier, etc… Tous sont investis. Présents.

Pourquoi a-t-on ressenti le porte-à-faux de Lear ?  Depuis, peut-être que les équilibres ont été rétablis…

Dans le cadre de la programmation du Théâtre de la Ville hors les murs. Après Perpignan, Caen, Saint-Quentin-en-Yvelines.

Théâtre de la Porte Saint-Martin. A 19h00 du mardi au samedi, 15h00 dimanche. Durée : 3h30 entracte compris. Jusqu’au 28 novembre. Tél : 01 42Alain Françon, l’amour tout simplement