Thibaut Prigent, l’envol d’un grand talent

Il a composé et interprète « La Fugue », épopée cocasse pour un homme seul, capable d’en faire vivre une bonne quinzaine, femmes comprises. Un formidable artiste.

Une chaise. Il est assis sur la chaise de bois plantée au milieu du plateau noir. Les spectateurs s’installent, à fleur de scène et en quelques gradins. Il s’échauffe discrètement. On devine un tee-shirt blanc et des sneakers de même couleur, un pantalon sans doute gris.

Explosion soudaine. On est dans le cockpit d’un avion supersonique, peut-être même dans une fusée, on ne sait plus trop. On sur les tressautements, les grimaces, le visage écrasé par la vitesse. On a un peu peur…

L’atterrissage est rude : en fait notre homme était en plein rêve d’envol. Le voici interpellé par un chef, en pleine réunion « marketing ». Il a compris que le jeune homme, il se nomme Stéphane, somnolait et lui ordonne de faire une démonstration de vente de cuisine à un jeune couple…

Un fiasco…Il sort, abattu et se fait renverser par un camion. Rien de tout cela ne devrait nous faire rire…Et pourtant ! Comment fait Thibaut Prigent pour raconter autant d’événements en si peu de temps. Car on saute bien des mini-événements…Mais le voici hospitalisé, amnésique, transféré dans un centre de soins qui ressemble à une clinique psychiatrique…

N’en disons pas plus. La Fugue est un peu un roman picaresque d’une heure et quelques minutes. Une formidable traversée de notre monde contemporain. Car l’auteur-acteur parle bien de notre monde et de ceux que l’on met à l’écart.

Stéphane va entraîner ses camarades –on les rencontre tous, par la seule grâce du jeu du seul Thibaut Prigent- dans une aventure exaltante. Cette Fugue, musicale dans son écriture et son jeu, est une libération, une fuite. Généreuse et tonique, partagée.

Rien de mièvre en tout cela. Ici le tragique affleure sans cesse et l’auteur-acteur sait la contenir sans excès de pathos. Ici le comique affleure sans cesse et l’on est galvanisé par l’énergie du personnage de Stéphane comme par l’époustouflant talent de Thibaud Prigent.

Voix très bien placée, physique de jeune homme d’aujourd’hui, regard ferme, large sourire, il est fin comme une herbette. Des muscles, mais un corps filiforme qui lui donne une lumière d’enfance. Si l’on n’avait pas tellement galvaudé la merveilleuse formule d’Antonin Artaud, on dirait que Thibaut Prigent est un « athlète affectif ».

Son visage est traversé de mille et une expressions. Jamais de grimaces faciles. Mais la traduction d’émotions délicates et d’étonnements devant la vie. Il a travaillé sous le regard de Yohan Bret et Philippe Ferreira a créé les lumières.

On sort de là admiratif…Quelle nature ! Quel talent ! Quelle intelligence. Tout cela avec une chaise…

Thomas Prigent est passé par l’Ecole Claude Mathieu et également par le Théâtre national de Toulouse. En pensant à lui, rue de Charonne, on se souvient : il était Arlequin dans un Marivaux monté par Galin Stoev…Arlequin. Il a tout d’Arlequin, de sa candeur parfois, apparemment, mais avec une intelligence brillantissime en plus.

La Flèche, 77 rue de Charonne, 75011 Paris. Chaque jeudi à 19h00. Tél : 01 40 09 70 40. Durée : 1h15. Jusqu’au 8 juin.

Renseignements : info@theatrelafleche.fr

Ou : theatrelafleche.fr