Pédagogue, metteur en scène, très grand collectionneur, il s’est éteint à Paris à l’âge de 97 ans. La musique comme le théâtre lui doivent beaucoup.
C’était un esthète. Un homme qui aura consacré sa vie à l’art. Il était né en 1923 et s’était très tôt pris de passion pour la musique et le théâtre. A peine ses bacs en poche, il veut devenir comédien et commence par faire de la figuration, à Paris, dans les années 40. Il souriait, amusé de sa timidité d’alors, en se remémorant ces premiers pas sur les planches ou les plateaux de cinéma. Il joue un page dans Les Visiteurs du soir. Il n’est pas le seul : les jeunes François Chaumette, Alain Resnais, Jean Carmet et le très jeune Jean-Pierre Mocky sont eux aussi de jeunes serviteurs…Mais lui, Jean Darnel, il devait servir à boire à Jules Berry…le Diable ! On est au Moyen-Age car Carné et Prévert ont voulu avoir la paix avec la censure de l’Occupation.
Jean Darnel racontait cette histoire et des centaines d’autres. Avant d’être un comédien, un metteur en scène, un créateur de festivals, un professeur d’art dramatique, Jean Darnel était en effet un homme d’une érudition profonde. Et puis son esprit souvent caustique donnait à ses récits, ses anecdotes, un inoubliable piquant…
Dans ces années quarante-cinquante, le monde du théâtre parisien n’est pas énorme et l’on trouve des rôles assez facilement. Jean Darnel est non seulement doué, avec une voix très bien timbrée, une discipline, une connaissance déjà profonde de la littérature dramatique, mais il est très beau. Il a un physique de jeune premier.
Il se forme auprès de grands maîtres, d’aînés qu’il admire, tel Pierre Fresnay.
Dès 1945, il triomphe sur la scène du Châtelet où Maurice Lehmann met en scène L’Aiglon d’Edmond de Rostand. Le rôle, depuis sa créatrice, Sarah Bernhardt, est le plus souvent tenu par des femmes. Mais Jeanne Boitel attend un enfant et doit s’interrompre. C’est Jean Darnel qui joue le Roi de Rome. La critique s’enflamme pour lui dès ce moment-là.
Il pourrait enchaîner les engagements, mais, s’il joue et pas les moindres personnages chez Shaw, Shakespeare, Hugo, son goût le conduit vers la mise en scène de ces auteurs, entre autres : Hamlet, Ruy Blas, Cyrano de Bergerac, Roméo et Juliette, dans les années 50-60, puis des œuvres de Molière, Musset, Racine.
Mais surtout, il dirige des chanteurs dans de grands et beaux ouvrages, tel Didon et Enée de Purcell, dès 63, à Saint-Jean-de-Luz. Il n’a pas attendu la mode baroque, il la précède…
Il aime aussi les œuvres plus légères, les opéras bouffes d’Offenbach et de Rossini, notamment.
Jean Darnel qui avait grandi, en partie, à Bayonne, fonde en 1960, Musique en côte basque, un festival qui existe toujours et qui s’est allié au festival Ravel pour une entité unique depuis quelques saisons.
En 1971, c’est lui qui, avec Jacques Bourgeois, reprend le flambeau du théâtre antique d’Orange avec « Les Nouvelles Chorégies ».
On ne peut ici détailler tous ses rôles, toutes ses mises en scène, tous les artistes qu’il a mis en lumière en les engageant dans ses différents festivals. N’oublions pas Les Fêtes romantiques de Nohant
Voici ce qu’a écrit Yves Henry, actuel président de la manifestation : « Il avait été à l’origine du Nohant Festival Chopin avec son ami Aldo Ciccolini. Jean Darnel nous a quittés cette nuit à l’âge de 97 ans, rejoignant Aldo, qui s’était éteint en 2015 à près de 90 ans. Tous deux étaient tombés sous le charme de Nohant et avaient su y faire venir les plus grands artistes des mondes de la littérature et de la musique. De Samson François à Laurent Terzieff, d’Arthur Rubinstein à Elisabeth Schwarzkopf, de 1966 à 1990, ils ont façonné avec passion ce Festival, intitulé à l’époque Fêtes Romantiques de Nohant, et rebaptisé depuis 2011 Nohant Festival Chopin.
Jean Darnel était un homme de théâtre, un pédagogue passionné et exigeant, et un directeur artistique qui a également contribué à deux autres grandes manifestations : les Chorégies d’Orange et Musique en Côte basque. Grâce à lui, de nombreux spectateurs ont pu vivre des moments exceptionnels dont ils conserveront longtemps le souvenir. Grâce à lui, des générations de comédiens perpétuent un art théâtral particulier dans lequel le rapport à la musique et aux musiciens a une place prépondérante. Grâce à lui enfin, de nombreux jeunes artistes, qu’ils soient musiciens ou comédiens, ont pu développer leur expérience professionnelle. Il avait créé et dirigé à Paris l’association pour l’insertion professionnelle des jeunes artistes. »
Jean Darnel, en effet, aura également été un professeur, aussi exigeant que fidèle quand ses élèves avaient la pugnacité, le talent, la volonté d’entreprendre. Il aura été Directeur de l’École d’art dramatique de la ville de Paris (devenue École supérieure d’art dramatique -ESAD- en 2008) et inspecteur des Conservatoires.
Il a donc fondé avec le soutien de l’État et de la ville de Paris l’Association pour l’Insertion Professionnelle des Jeunes Artistes (IPJA) et l’a dirigée pendant vingt-deux ans.
Il avait ouvert, en 1966, un cours privé à son nom. Jusqu’à il y a quelques années, il réunissait les élèves dans le « grenier » du Théâtre de l’Atelier, dans la lumière de Charles Dullin et les fantômes gentils de Barrault, Artaud…C’était un professeur parfois très sévère, mais ses fidèles admiraient le maître et lui sont très reconnaissants : Nicolas Vaude, Nicolas Briançon, entre autres.
Ces toutes dernières années, Jean Darnel animait une fois par mois Le Libre journal du spectacle sur Radio Courtoisie. Voix bien timbrée, humour, saveur, il construisait des pages de récits savoureux et pétris d’amour.
Sa vie durant, dès qu’il avait trois sous, il avait acheté des souvenirs du monde du théâtre ou de l’art lyrique. Il aimait les objets, mais aussi les lettres. Il avait la merveilleuse couronne de Phèdre de Sarah Bernhardt, d’autres bijoux, des photographies. Il adorait le XIXème siècle et subissait avec chagrin les approximations artistiques de ces dernières années…
C’est lundi 30 novembre, à 13h00, au cimetière du Père-Lachaise, salle Maumejean, que ses amis, ses élèves, diront un dernier adieu à Jean Darnel.
Entrée : 71 rue des Rondeaux, Paris XXème.