Elle a été une personnalité essentielle du monde de la culture, du côté de l’Etat, comme des entreprises privées. Lumineuse et spirituelle, elle s’est éteinte à l’aube du 1er mars. C’est à Saint-Roch, le 9 mars, à 10h30 que sa famille et ses amis lui diront adieu.
Aussi accueillante et souriante que rigoureuse, aussi charmante que savante, aussi disponible que concentrée dans le travail, Irène Ajer était une femme d’exception. Plus de cinquante ans durant, elle aura été une figure essentielle du monde de la culture, en France, en particulier dans le domaine du spectacle vivant, du théâtre, de la musique. Mais pas seulement.
Et lorsqu’elle avait quitté ses fonctions au ministère, elle s’était dévouée pour le monde du théâtre privé, veillant aux réconciliations, notamment du côté des « molières ».
Rayonnante, élégante, elle était une personnalité pudique et discrète. Elle s’est éteinte à l’aube du 1er mars, après un long combat contre la maladie.
Née à Nîmes le 20 avril 1940, elle avait suivi les cours de l’Institut d’Etudes Politiques, Sciences Po, tout en se plongeant dans ce qui serait la passion de sa vie : le théâtre. Elle se forme comme comédienne au cours Simon et chez Decroux, participe à l’Université Internationale des Nations et jusqu’au TNP de Jean Vilar.
On aurait pu l’imaginer comédienne. Elle est ravissante, avec un physique à la Simone Simon, un petit nez de chat, un regard profond, espiègle. Elle a trop le goût du service de l’Etat pour se lancer du côté du jeu, mais on peut la voir, mignonne et coquine dans Les Demoiselles de Suresnes, un film de la fin des années soixante…
La jeune fille des sixties va devenir « une grande dame » du ministère de la Culture. C’est par ces mots, en lui remettant les insignes d’Officier dans l’ordre national du Mérite, que Frédéric Mitterrand l’avait accueillie dans le grand salon de la rue de Valois, il y a quelques années. « Votre personnalité est bien connue des professionnels du théâtre, reconnue pour votre sens du service public. Vous n’avez cessé d’oeuvrer en faveur de l’art dramatique en France et dans le monde, participant au rayonnement de l’action du ministère de la Culture et à l’histoire du théâtre en France. »
Elle a 25 ans, à peine, lorsqu’elle entre rue Saint-Dominique, à deux pas de l’esplanade des Invalides, une adresse où se jouera des années durant la vie du spectacle vivant. Ses grands aînés vont la guider, appréciant ses qualités d’énergie, d’inventivité : Gaëtan Picon, Pierre Lemoine, Pierre-Aimé Touchard, Blaise Gautier, François Wehrlin, Guy Brajot, Michel Guy.
Emile Biasini, en particulier, compte sur elle. Il a repéré ce « chef du bureau des jeunes compagnies et de la création dramatique » qui veille sur les talents de ceux qui feront la force et l’imagination des scènes françaises, cette « école française du théâtre » dont elle a compris le talent et qu’elle aide, accompagne comme une fée bienveillante doublée d’un haut fonctionnaire qui a du pouvoir…Ariane Mnouchkine, Bernard Sobel, qui sont toujours là et ceux qui nous ont quitté : Patrice Chéreau, Jean-Pierre Vincent, Jacques Lassalle. Et les auteurs dramatiques, également, sont sous sa bienveillante attention.
Chargée de mission auprès d’Emile Biasini pour
l’aménagement de la côte
Aquitaine, Commissaire général du Festival « Octobre à Bordeaux »,
chargée de mission auprès de Philippe Tiry à l’ONDA (Office national de
diffusion artistique) qui venait alors d’être fondé, Irène Ajer devient directrice
de la Maison de la culture d’Orléans.
Dans un entretien qu’elle avait donné le 29 mai 2019 sur les ondes du site « Need Radio », pour l’émission « Entre voix » à Marie-Claire X. qui l’interrogeait notamment sur le « moment le plus riche d’expérience » de son parcours, Irène Ajer répondait que les huit années à Orléans avaient été pour elle, très importantes. On doit être en 1977. Elle a conscience d’être une héritière de Jeanne Laurent et d’œuvrer pour « une vie théâtrale intense sur un territoires assez vierge ». Elle est une pionnière de la décentralisation.
En 1985, c’est au côté de Pierre Boulez qu’elle va reconstruire l’IRCAM, dont elle est nommée administratrice générale. Dans le droit fil de ce travail complexe, elle assure la préfiguration de la Cité et du Musée de la musique.
Pour nous tous, aujourd’hui, c’est sans doute la détermination qu’elle a déployée pour la création d’un musée du costume de scène et de la scénographie et son installation à Moulins, dans un ancien quartier de cavalerie, qui force notre admiration : en ce moment, une rétrospective du scénographe, costumier, metteur en scène Yannis Kokkos, témoigne de la vitalité de ce lieu magnifique.
A la fin de sa carrière de grand serviteur de l’Etat, Irène Ajer est nommée, cheffe du service de l’inspection de la DMDTS. Elle réforme, elle rend tout plus efficient.
Spectatrice sans œillère, Irène Ajer a passé sa vie au spectacle : concerts, opéras, festivals, danse, cirque, théâtre public comme théâtre privé, elle expérimente chaque soir la vitalité de la création. Elle est ouverte à tous les arts et connaît tous les milieux.
Les « molières » font appel à ses connaissances, ses compétences, son art de la diplomatie. En 2008, elle est élue présidente de l’association et réconcilie pour un temps public et privé et, sous son règne, on n’oublie pas la belle soirée donnée à la Maison des Arts et de la Culture de Créteil, avec tapis rouges et télévisions, sur le béton de la dalle !
Dans le même esprit, Irène Ajer préside la COPAT (Coopérative de production audiovisuelle et théâtrale). On filme les pièces, on enregistre, pour la mémoire de cet art éphémère, les spectacles.
Une vie magnifique au service des autres. Une vie de travail, d’engagement. Une vie de combats, mais sans sectarisme aucun. Elle aimait transmettre et ceux qui travaillaient avec elle lui vouent une reconnaissance profonde, une affection filiale. Ainsi peut on citer, sans être indiscrète, Solange Barbizier, Patrick Ciercolès. Une vie pour la beauté et le partage. Une vie d’amitié aussi, car elle aura réussi le prodige d’être tout entière dans l’action sans jamais abandonner si sa famille ni ses amis. Une « icône » disait Frédéric Mitterrand, mais surtout une femme admirable que nous n’oublierons jamais et qui est un modèle pour chacune, pour chacun.
Les obsèques d’Irène Ajer seront célébrées en l’église Saint-Roch, le mardi 9 mars, à 10h30.