Découvert la saison dernière à la Cartoucherie, le spectacle en solo de Frédérique Voruz, Lalalangue, une revue familiale, a été repris pour quelques jours au Cirque Electrique. Une plongée féroce dans la folie destructrice, haine comme amour mêlés.
Il y a un noyau très dur au cœur de Lalalangue. C’est une phrase rapportée. Elle vient très tôt dans le parcours qu’a choisi Frédérique Voruz pour évoquer sa vie, celle de sa fratrie et on a beau faire, on ne comprend pas ce qui a pu conduire la femme qui est au centre du propos, la mère, à la concevoir, à la prononcer.
Elle est jeune. Elle est dans un hôpital. On a dû l’amputer d’une jambe après une chute, alors qu’elle se livrait, avec son mari, tête de cette cordée, à sa passion de l’escalade, dans les calanques de Marseille. Dans l’accident, elle a perdu les deux enfants à naître, deux garçons.
Frédérique Voruz raconte cela et nous livre cette phrase de sa mère : « Je me vengerai sur les enfants. »
On ne comprend pas cette phrase, cette décision.
Le récit fonctionne en chapitres. Pas de stricte construction narrative. Des éclats. Des morceaux de vie. Des souvenirs très précis. Beaucoup d’enfants dans cette famille. Un père qui est sans doute écrasé par la culpabilité, mais qui divague et ne s’occupe absolument pas de sa progéniture. Il joue sa musique : piano, orgue. Il parle aux arbres. Il est très peu présent.
La mère montre des signes de grand déséquilibre psychique, radinerie délirante et accueil des clochards, excessive dans la religion, brutale avec les enfants. Oui, peut-être se venge-t-elle…
Spectateur, on est tiraillé par des sentiments très contradictoires. Quelle folie ! Pas d’autre mot. Frédérique Voruz n’est pas un auteur naïf. Parmi les figures qui ponctuent Lalalangue, il y a la psychanalyste qui l’écoute et livre ses conclusions en écrasant sa cigarette. Le titre, Lalalangue fait référence à un concept lacanien : les mots de la famille, du cercle étroit dans lequel tel mot circule, avec ses significations particulières.
Ne racontons pas dans le détail cette « revue familiale ». Pas d’autres appuis qu’un écran sur lequel sont projetés quelques mots, les chapitres, et quelques photographies.
Frédérique Voruz, est une enfant du Théâtre du Soleil. Comme beaucoup d’artistes de la troupe d’Ariane Mnouchkine, elle a multiplié les formations exigeantes, de danse, de jeu, de réflexion. Simon Abkarian a fait appel à elle pour des spectacles et il a accepté d’être ici le « regard extérieur ».
Ce sont l’amitié et le Soleil, aussi, qui assurent le conseil artistique, Franck Pendino, la lumière, Geoffroy Adragna, le son Thérèse Spirli.
On rit beaucoup. Elle est drôle, cocasse, terrible dans la détresse comme dans la fureur cette jeune femme. Cette comédienne qui nous livre une part de sa vie. Le visage est d’une mobilité et d’une expressivité irrésistibles. Le regard magnifique d’intelligence et de sensibilité. La voix parlée et la voix chantée, harmonieuses. Le don de l’imitation, subtilement travaillé.
Frédérique Voruz ne se contente pas de dévoiler ses secrets de famille, ses secrets de maturation en quelque sorte. Comment elle a grandi ? Comment elle est devenue comédienne ? Non, elle joue sa vie, littéralement. Elle prend des risques. Elle est comme une acrobate sur un fil. Mais elle ne se casse pas la figure.
A venir : Lalalangue aurait dû se déployer au Théâtre du Rond-Point. Mais les circonstances ont évidemment contrarié les projets artistiques de chacun. Comment se déploieront les saisons à venir. Nul ne le sait. Mais le travail et la personnalité de Frédérique Voruz doivent rencontrer un large public.