La comédienne dit l’un des textes du recueil Feux, celui consacré à la figure de Marie-Madeleine. Pensées audacieuses, écriture puissante, comédienne magnifique.
Pas même une heure. Juste le temps de donner corps, sensibilité, puissance à ce texte audacieux d’une Marguerite Yourcenar de 32 ans, se défendant d’une immense aventure d’amour non partagé.
Feux, comme feux de l’amour chez Racine. Embrasement, carbonisation.
Toutes les figures de Feux, des nouvelles aux allures de poèmes en prose, toutes les figures viennent de l’Antiquité : Phèdre ou Sappho, Antigone, Clytemnestre ou Achille, Patrocle, Phédon. Sauf Marie-Madeleine.
« Dans Feux, où je croyais ne faire que glorifier un amour très concret, ou peut-être exorciser celui-ci, l’idôlatrie de l’être aimé s’associe très visiblement à des passions plus abstraites, mais non moins intenses, qui prévalent parfois sur l’obsession sentimentale et charnelle », analysait, des années après la parution du recueil en 1936, l’écrivain des Mémoires d’Hadrien et de L’Oeuvre au noir.
Brigitte Catillon explique dans quelles circonstances elle a lu ce texte, alors qu’elle tournait un film, à Jérusalem, dans les années 80. Elle est frappée par cette découverte. Des années plus tard, en 2018, elle propose, au Petit Louvre, à Avignon, une version de Marie Madeleine.
Au Poche-Montparnasse, sous le pinceau des lumières très délicates d’Orazio Trotta, avec, comme unique partenaire, la musique, très subtilement présente, de Nicolas Daussy, une musique vivante et vibrante comme les rumeurs de la vie même, Brigitte Catillon, interprète ultra-sensible, présence, beauté, voix très harmonieuse, intelligence de toutes les écritures –elle a tout joué, du plus classique au plus contemporain- donne vie à ce texte très étonnant.
Une tunique légère, imprimée dans des tons beiges et dorés, un foulard qui dégage le visage, dans les mêmes couleurs, c’est tout. Un pantalon et des sandales. Tout sonne juste, vrai. La comédienne, remarquable depuis toujours, est ici au cœur de ce qu’elle a souhaité, conçu. Son interprétation est remarquable. Forte personnalité, beauté évidente, Brigitte Catillon laisse toute sa place à l’écriture même de Marguerite Yourcenar. Elle a de la grâce, elle bouge bien, comme une danseuse au port de reine.
Marie-Madeleine ? Une jeune femme abandonnée par son jeune époux qui préfère suivre un homme à la parole fascinante, une jeune femme qui se vend, corps mais non pas âme, une jeune femme qui se retrouve auprès du Christ, pour qui elle a été jetée dans le désarroi. Trois voix, ici, en quelque sorte. Marie-Madeleine, le mari, le Christ…Marie-Madeleine répond à des questions que l’on n’entend pas.
Il ne faut pas que nous en disions plus car, ici, la plupart des spectateurs –à commencer par nous-même- découvrent ce texte que l’on ne connaissait pas et que nous dévoile le travail plein de tact et de pudeur de Brigitte Catillon. Au Poche, on est dans la proximité. Les regards, les imperceptibles mouvements de l’être, tout impressionne et fait sens. On se dit, bêtement, qu’elle était gonflée, Marguerite Yourcenar !
Un moment de théâtre, de poésie, un texte taillé dans l’étrange pensée d’une jeune femme de 32 ans, amoureuse enflammée qui tente de juguler sa passion mais s’y abandonne.
Théâtre de Poche-Montparnasse, salle du haut, chaque dimanche à 17h00 et le lundi à 19h00. Durée : 55 minutes. Tél : 01 45 44 50 21. Texte de Marguerite Yourcenar, Gallimard.