Avec « Un vivant qui passe », d’après Claude Lanzmann, il s’intéresse aux mises en scène des nazis et à l’aveuglement plus ou moins consenti d’alors. Face à lui, l’excellent Frédéric Noaille.
Nicolas Bouchaud ne cesse d’entreprendre. Embarqué dans des productions amples, ainsi Les Frères Karamazov selon Sylvain Creuzevault, il prend le temps de lire, d’écrire (son livre, Sauver le moment, paru en janvier 2021 chez Actes Sud est un grand succès), de composer des spectacles originaux, le plus souvent à partir de matériaux non destinés au théâtre.
Après, notamment, La Loi du marcheur d’après Serge Daney, Un métier idéal d’après John Berger, voici donc un travail à partir des rushes qui ont été la base de Un vivant qui passe, un film-documentaire, un livre de Claude Lanzmann. Une matière filmée pour Shoah mais qui n’y fut pas incluse.
Le grand intérêt de cette version pour la scène est que, guidée par Dominique Lanzmann, veuve de l’écrivain et cinéaste, l’équipe d’adaptateurs a pu avoir accès aux rushes –rushes des rushes- du travail de Lanzmann sur cet épisode particulier de son enquête.
Equipe, oui : excellent trio de Véronique Timsit, Eric Didry, Nicolas Bouchaud, habitués aux travaux délicats.
Ici, il s’agit de s’interroger sur l’aveuglement d’un homme, Maurice Rossel, délégué de la Croix Rouge Internationale, chargé de visiter les camps allemands en pleine guerre, mais qui se laisse berner.
Sur ce thème l’écrivain espagnol Juan Mayorga avait composé une pièce très intéressantes, créée en France par Jorge Lavelli, Chemin du ciel (Himmelweg).
Ici, on est dans l’âpre réalité. On voit comment Lanzmann, débarquant volontairement par surprise chez ce témoin, ne le lâche pas. Frédéric Noaille est remarquable dans la pugnacité de Lanzmann, jusqu’à la manipulation discrète. Lanzmann est comme un flic, il veut des aveux.
Le Rossel de Nicolas Bouchaud possède une sincérité certaine. L’homme s’en veut. On le ressent. Mais il a baigné dans une culture ambigüe : les personnes juives, « israélites » comme il le dit, n’étaient pas très bien vues, dans son monde. Mais il est clairement du côté du combat. Il se fait avoir, épouvantablement.
Il y a quelque chose d’une chorégraphie dans cet affrontement sur fond de bibliothèque. Thierry Thieû Niang, présent dans les remerciements, a visiblement donné des conseils…Cela allège la représentation qui échappe ainsi au côté dossier historique. N’en disons pas plus, mais les deux interprètes vont même plus loin, s’appuyant sur des activités qui existaient dans les camps.
Ajoutons un mot : si Maurice Rossel n’est pas ménagé par Claude Lanzmann, c’est lui qui prononce ces mots : « un vivant qui passe ». En contexte, c’est glaçant. Mais en titre, c’est beau…
Théâtre de la Bastille, dans le cadre du
Festival d’Automne à Paris
jusqu’au 23 décembre, puis du 3 au 7 janvier 2022. Durée : 1h35.
Relâches les 12, 19, 24 décembre et 2 janvier.
En tournée : Points Communs,
Cergy-Pontoise
les 3 et 4 février. La Comédie de Clermont-Ferrand du 9
au 12 février. Comédie de Caen du 22 au 24 février. Théâtre national
de Nice du 2 au 4 mars. Théâtre Garonne, Toulouse du 29 mars
au 9 avril.