Au Lucernaire, seulement accompagné de poupées, il donne à « L’Art d’être grand-père », une vérité émouvante.
C’est en 1877 que fut publié L’Art d’être grand-père. Il ne faut pas s’en tenir au titre de ce recueil très riche et qui, partant des enfants et de l’émerveillement d’un homme touché par des deuils nombreux, dépasse de loin les anecdotes et pensées immédiates. Il y a, dans l’ensemble des poèmes réunis, des textes simples et accessibles tels ceux que l’on apprenait à l’école autrefois : « Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir, / Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,/ J’allai voir la proscrite en pleine forfaiture, / Et lui glissai dans l’ombre un pot de confiture / Contraire aux lois (…). »
Et puis il y a également, des pages puissantes et d’une encre sombre, celle qui rappelle les dessins tourmentés. Des pages profondes, qui ne se contentent pas de nous raconter les plaisirs et les jours de la petite enfance. Des pages qui interrogent le monde, le sens de la vie. Victor Hugo est un homme, comme il le dit à son retour d’exil : « vieux, faible et vaincu », ainsi que le rappelle Jean-Claude Drouot dans la présentation de son spectacle.
Il est enveloppé de morts. Léopoldine s’est noyée en 1843 à Villequier. Elle avait 19 ans. Sa femme Adèle Foucher s’est éteinte en 1868, avant même d’avoir 65 ans. Son fils Charles meurt à 44 ans, en 1871, son fils François-Victor, le traducteur de Shakespeare, meurt en 1873, à 45 ans. Quant à Adèle, sa fille, elle est déclarée « folle » en 1872. Que de malheurs, que de chagrins pour cet homme toujours tourné vers les autres, qui défendra toujours les humbles, les fragiles. Lui, il a encore quelques années à vivre. Il s’éteint le 22 mai 1885.
Ses bonheurs, ce sont donc ces deux enfants, le grand frère et la petite sœur, ses petits enfants chéris qu’il observe avec tendresse et, répétons-le, émerveillement. Mais il sait, ce grand homme, que dans l’innocence, la candeur, la spontanéité, il y a l’horizon des grandes questions de l’existence.
C’est pourquoi certains poèmes sont difficiles. Ils ne coulent pas de source et exigent une grande attention.
Dans un décor chaleureux, Jean-Claude Drouot offre une traversée de L’Art d’être grand-père avec délicatesse. Pas de petits enfants, auprès de lui. Mais des poupées. Et surtout, son art de dire, d’être ému avec noblesse, de toute son âme de grand comédien qui a servi, tout au long de sa vie, les plus grands textes, les plus grands écrivains. Il aurait pu faire une carrière cinématographique importante. Mais il a donné sa préférence au théâtre. On a revu Le Bonheur au moment de la mort d’Agnès Varda. Jean-Claude Drouot a perdu sa femme, il y a peu. Il y a tout cela dans ce moment de probité et d’émotion, aussi simple que bouleversant.
« Moi qu’un petit
enfant rend tout à fait stupide,
J’en ai deux; George et Jeanne; et je prends l’un pour guide
Et l’autre pour lumière, et j’accours à leur voix,
Vu que George a deux ans et que Jeanne a dix mois. » Et répétons-le,
ce grand Hugo, si bien servi par Jean-Claude Drouot, nous entraîne bien
au-delà, dans les cieux immenses et les mystères de la vie, de l’existence.
Lucernaire, théâtre noir, à 18h3 0, du mardi au samedi, à 15h00 le dimanche. Durée : 1h10. Jusqu’au 2 janvier. Tél : 01 45 44 57 34.