Son spectacle Bros, présenté à la MC93, est pensé, réglé. Mais trop de violence, jusqu’à une complaisance certaine, anéantit toute réflexion.
Plus le temps passe, plus on a l’impression que les artistes de théâtre pensent que les spectateurs sont sourds et aveugles, décérébrés, et qu’ils n’ont aucune vision du monde comme il va. Seul Milo Rau peut arracher des faits à la réalité et les retranscrire « dramatiquement ». Et encore, pas toujours, quelquefois, justement, il bascule et surligne…
Roméo Castelluci est indéniablement un grand artiste, un plasticien nourri de culture chrétienne et de réflexion sur les textes de religion, de sagesse, de philosophie.
Lorsque l’on pénètre dans la salle de la MC93, les monstrueuses machines sont en place. Une tourelle énorme posée sur le plateau au côté d’un engin plus petit. L’ouverture est fracassante avec ses tonnerres d’explosions, de rafales, de tirs adressés au public…
On se souvient en souriant gentiment du Vieil Hiver de Roger Planchon. Les futs des canons s’adressaient aussi aux spectateurs…Et puis on n’a pas oublié Les Damnés et la scène ultime imaginée par Ivo van Hove.
Ici, il n’y a pas que cela. Sur le plateau, des dizaines de policiers, genre flics américains. Un moment, certains vont grimper dans les gradins et fermer les sorties. Ils redescendront tandis qu’un molosse se déchaîne, sur scène, en aboiements agressifs qui rappellent les furieux déchaînement d’un chien tentant de déchirer un homme sur la scène du palais des Papes, tandis que Castellucci –c’était lui, protégé par des combinaisons- en une évocation de Dante.
Mais la scène la plus terrible, insoutenable dans sa complaisante longueur, c’est celle du passage à tabac d’un homme frêle, maigre même, sur corps duquel une matraque s’abat sans discontinuer, des minutes et des minutes durant.
Quand on voit la troupe des flics (sans doute des figurants réunis par la MC93, et que l’on applaudira chaleureusement, à la fin), on pense évidemment à la mort de George Floyd. Ces figurants, Castellucci les nomme « les hommes de rue », dans la fiche de distribution.
On pense à la violence. Peu de textes, ici, quelques « proverbes » ou « devises » dit le concepteur et metteur en scène. Des étendards, des lumières, la musique assourdissante et qui racornit les corps, musique de Scott Gibbons, utilisée comme une arme. Des sons, des liquides. De l’eau, du sang. Des larmes.
Des chorégraphies comme des ballets symétriques, des signes qui rappellent ici les nazis, ici des musulmans extrémistes, des textes sacrés, et, pour commencer, Valer Dellakeza, et la langue roumaine pour entendre sans comprendre –ce n’est pas surtitré- Jérémie. Mais une grande feuille noire, que vous lirez après, vous est remise qui reprend ce texte et les devises.
On sort de là ni meilleur, ni plus éclairé. De grandes photos, comme autant d’occasions de brouiller les tentatives de compréhension, par la peau, l’émotion. Grand plasticien, certes, maître du plateau. Mais que nous dit-il vraiment, Castellucci ? A quoi veut-il nous sensibiliser, que nous ne sachions déjà ?
MC93, jusqu’au 19 février ; déconseillé, par les producteurs et le théâtre, aux moins de 16 ans.
Durée : 1h15. Tél : 01 40 60 72 72.
reservation@mc93
Puis en longue tournée internationale.