Aux saluts, et parce que la salle et les interprètes l’appelaient, Olivier Py est apparu sur la scène du Gymnase Aubanel. Il y avait fait, furtivement et à la fin de la longue représentation, une incarnation cocasse. En attendant les adieux du directeur du festival d’Avignon, au dernier jour de cette édition, le 26 juillet, la production donnée au Gymnase Aubanel, où naquit La Servante et où Miss Knife s’arma de son avenir, on partage un moment dont l’auteur et metteur en scène maîtrise jusqu’aux facilités « verbeuses », comme il le fait dire à l’un des protagonistes.
On en parlera, ici et là. On écrira. On essaiera de répondre à l’ambition de l’écrivain et metteur en scène et on tentera de faire comprendre la puissance et le talent solaire, rayonnant, des très jeunes et un peu moins jeunes comédiens que cet homme de théâtre unique, a réunis pour porter ce Je me souviens à sa façon : Ma jeunesse exaltée.
Dix heures, cela donne un sentiment de réserve légère : comment tiendra-t-on ? Dès juin on a lu le très épais ouvrage publié par Actes Sud Papiers, pas loin de 390 pages. On met du temps. Près d’une semaine, car cela ne se lit pas comme une comédie d’aujourd’hui, on prend son temps pour vraiment prendre la mesure de cette épopée qui charrie tous les styles, tous les genres, des échanges vifs et de longues plages aux allures de monologues.
Dès que cela commence, on oublie tout ce que l’on sait, tout ce que l’on a lu, car on est emporté par le théâtre. Nous, les vieux spectateurs, on est sages et raides comme des morts, eux, sur le plateau, ils sont survoltés et courent et volent, tombent et font des cabrioles, et rient, et s’affrontent, et s’aiment, et se bousculent, et ne quittent jamais le fil haute tension de l’écriture. Et parlent. Olivier Py, comme depuis ses tout débuts, précède tous les reproches que ceux qui ne le connaissent pas pourraient lui adresser et il emploie même l’adjectif « verbeux » qui est exagéré… Disons qu’il ne tient pas à faire court, contrairement à la chère épistolière (« Je n’ai pas eu le temps de faire court » ou à Blaise Pascal s’il faut en croire d’autres sources.)
Il donne la parole, il a ses mots à dire, il n’aime pas les précautions –oratoires et autres. Il y va. Il est romancier dans l’âme mais son royaume est le théâtre. C’est-à-dire, l’art où tout se partage. L’art qui consiste à se défaire immédiatement de tout esprit de propriété : il donne tout aux autres depuis toujours et, avec Ma jeunesse exaltée, il a composé pour dix êtres à part, des personnalités fortes, des filles, des garçons, des artistes de longue expérience et des feux follets dévastateurs que l’on a pour certains découverts dans le feuilleton Hamlet la saison dernière. Ils y vont. Ils sont prodigieux et sans aucune arrogance.
La pièce va son développement avec des entractes. La scénographie de Pierre-André Weltz, mobile, harmonieuse, efficace, ses costumes avec une palette de toutes les déclinaisons de l’habit d’Arlequin imaginables, les maquillages et perruques, séduisent profondément. Les lumières de Bertrand Killy, le son de Rémi Berger Spirou, les chansons écrites par Olivier Py lui-même, les compositeurs et instrumentistes qui jouent en direct et participent à l’action jusque sur le plateau, Julien Joly, aux percussions, entre autres, et Antoni Sykopoulos, piano et arrangements, donnent des tons de comédie musicale désinvolte ou déchirante, selon les moments
Les comédiens sont les premiers porteurs de cette œuvre hors norme. Elle parle d’aujourd’hui mais du passé aussi –des années 80-90, quand tant de jeunes gens mouraient du sida. Elle balaye tous les grandes angoisses du temps : aujourd’hui, hier, demain. Elle parle d’héritage. De filiation. D’héritage intellectuel et moral. Elle parle d’amour. Jusqu’aux sentiments les plus compliqués, mais sans mépriser les plus simples. Elle moque les puissants. Elle ne connaît pas la pudeur et amoncelle les épisodes crasseux…Surtout s’il s’agit du pouvoir culturel ou religieux. N’ayez pas peur. On va ici jusqu’au cannibalisme. Et c’est rude.
Mais tout ici est tenu par dix comédiens d’exception que l’on ne fera que nommer car qualifier leurs parcours exigerait des pages et des pages. Il y a les filles, trois. La magicienne Céline Chéenne, comme toujours –souvenez-vous d’Hamlet en feuilleton- exceptionnelle. Elle accueille avec bienveillance, aimante et malicieuse, ses jeunes partenaires : Eva Rami et Pauline Deshons. Deux jeunes femmes très différentes dont nous reparlerons. Côté garçons, il y a, outre les musiciens, ceux qui ont bien voyagé, tel Olivier Balazuc, ceux que l’on connaît par cœur, dans le désordre et sans critère d’âge et de parcours : Damien Bigourdan, Emilien Diard-Detoeuf, Geert Van Hermijnen, Flannan Obé.
Et puis il y a la passion. Une histoire de possession, d’amour, de cynisme parfois. Il y a un poète un peu oublié, qu’incarne Xavier Gallais, déchirant du premier mot au dernier souffle, et le vif-argent en costume de livreur de pizzas, l’époustouflant Bertrand de Roffignac, hallucinant de 14h00 à très tard plus tard. Le spectacle dure dix heures, glisse un peu au-delà;
Avec sa voix aussi bien timbrée qu’une voix à la Jean-Pierre Marielle, avec sa vitalité de grand félin mince comme un fil, il entraîne ses camarades dans un parcours d’une vitesse et d’une précision vertigineuses. Il court, il vole, il est juste dans toutes ses prises de parole, ses mots, ses répliques. Il saute, il tombe, il se casse la figure, il se cogne, il n’arrête pas une seconde et à chaque seconde il bouleverse. Face à lui, souffrant, mourant, aimant, Xavier Gallais est idéal.
On n’a rien dit. C’est du théâtre pur. Revivifiant. Aux saluts, des larmes. De l’homme de théâtre qui demeure unique, et sincère.
Miss Knife et ses sœurs (Autrement dit Angélique Kidjo et les Dakh Daughters et l’Orchestre national Avignon-Provence. A l’Opéra Grand Avignon, place de l’Horloge. Ma jeunesse exaltée, publiée par Actes-Sud Papiers, et se joue jusqu’au 15 juillet, relâche le 11. Gymnase du Lycée Aubanel.