Avignon, dans sa splendeur

Une exposition magnifique consacrée au photographe Christophe Raynaud de Lage, une autre à Maria Casarès et Gérard Philipe dans une maison Jean-Vilar rénovée, et, dans la cour, la vision large d’un artiste aux dons profonds. C’est Le Moine noir, d’après Tchekhov, dans une mise en scène puissante de Kirill Serebrennikov.

Le mistral est là depuis plusieurs jours. De quoi, parfois compromettre les représentations en plein-air, celle de la cour d’Honneur en particulier. Mais le maître de cette salle pas du tout comme les autres a su convaincre le metteur en scène de modifier d’une manière infime le déroulement du spectacle, et les tourbillons violents ont ajouté à la beauté et au mystère fantastique, comme au désespoir des protagonistes.

Kirill Serebrennikov, un artiste qui connaît Avignon et que le public admire, affronte la cour pour la première fois. Avec une production déjà conçue pour le Thalia Theater d’Hambourg où le spectacle a été créé en janvier dernier. Mais, évidemment, avec intelligence et sans démonstration, Kirill Serebrennikov, cinéaste exaltant, utilise l’espace avec un plaisir certain. Il offre ainsi, par-delà la rugosité de l’intrigue, la rigueur du traitement qu’il a choisi, des images d’une beauté stupéfiante, tout en dirigeant les artistes, comédiens, chanteurs, danseurs, avec une précision radicale.

Devant l’une des serres de bois, les trois comédiens qui incarnent tour à tour Kovrine. Derrière eux, longue tige, Tania. Photographie de Christophe Raynaud de Lage. DR.

Donné en allemand, en russe, en anglais, ce Moine noir, d’après une fascinante nouvelle d’Anton Tchekhov, qui donna lieu autrefois à une adaptation fidèle et fine d’Odile Ehret pour une mise en scène de Julian Neguslesco, et, plus récemment à un travail de Denis Marleau, sur une traduction d’André Markowicz, prend des libertés grandes avec ce que raconte l’auteur : Serebrennikov met la puissance de son imagination de poète et de cinéaste sur le plateau, littéralement.

Nous reparlerons longuement de ce spectacle très dense et très fluide à la fois, qui offre à la dernière édition du festival programmée par Olivier Py et ses équipes, une ouverture somptueuse et spirituelle.

Vue générale du dispositif avec les trois maisons-serres, l’écran rond qui diffuse des images, parfois filmées au téléphone portable. Photographie de Christophe Raynaud de Lage. DR.

A côté, à la Maison Jean-Vilar, belle et longuement rénovée, trois expositions : un dossier consacré aux notes de service du fondateur du festival et patron du TNP de Chaillot, une bouleversante plongée dans l’amitié et les partages de plateaux de Maria Casarès et Gérard Philipe, une délicate et riche manière de célébrer ces camarades et leur beauté, et leurs parcours. C’est au grand photographe du théâtre aujourd’hui, et mémoire du festival, qu’est dédié « L’Oeil présent ». On pourrait reprendre le titre de Paul Claudel, « L’Oeil écoute »…Avec le cinéaste, penseur de l’urbain, collaborateur de chorégraphes singuliers, Laurent Gachet et le scénographe Pierre-André Weitz, Christophe Raynaud de Lage se souvient de ses festivals. Héritier de Claude Bricage, il excelle à saisir le mystère et la grâce partout où il se faufile. Conçue avec intelligence, avec des interviews, des diaporamas, des tirages très soignés, l’exposition est complétée d’un très bel album. On revoit, on redécouvre. On est saisi par ce que l’on n’avait pas vu lors de telle ou telle représentation. Les cartels sont précis, la déambulation idéale. A voir et revoir.

Le Moine noir, cour d’honneur jusqu’au 15 juillet. Relâche le 11. Parmi les autres dates à retenir, le Théâtre de la Ville au Châtelet, du 16 au 19 mars 2023. Texte de l’adaptation publié par Actes Sud Papiers.

Les expositions durent jusqu’à la fin du festival. « L’Oeil présent » sera visible jusqu’au 31 mars 2023. Catalogue en vente sur place.