Sous un titre qui ne dit rien de la puissance de ce moment de haut théâtre, l’artiste libanaise déploie son intelligence et son courage, physique, moral. Exceptionnel.
Alors que les derniers spectateurs pénètrent dans la salle de Benoît XII, Hanane Hajj Ali se glisse sur le plateau jusqu’alors plongé dans le noir, et, allongée, fait des exercices d’échauffement des cordes vocales. Un peu de gymnastique physique. Une cascade de mots, traduits en français et en anglais, sur un écran, au fond. des exercices qui précèdent la gymnastique morale. Politique, intellectuelle, sensible. Audacieuse.
Elle est de noir vêtue. Caleçon et tunique. Le visage ovale est ceint d’un foulard, noir lui aussi, qui dissimule la chevelure. Un moment elle revêtira un imperméable ou s’enveloppera dans un grand voile rouge ardent. Pour l’essentiel, Hanane Hajj Ali, qui s’exprime dans un français parfait, lorsqu’il le faut, mais donne son « spectacle » en langue arabe, conserve cette tenue de « jogging »…
Elle a choisi d’intituler ce grand moment Jogging. Si elle se dépense beaucoup physiquement, c’est sa pensée, ses récits, ses aveux, ses observations, ses prises de position, qui frappent. Par leur courage, leur force, leur puissance morale.
Elle se présente comme « une citoyenne libanaise de souche depuis plus de cinquante ans, citoyenne française pas de souche depuis plus de dix ans ». (…), une femme qui a quatre enfants. « Aucun d’eux ne vit dans ce pays, aucun de leurs copains non plus. »
Une heure trente durant, avec une vitalité magnifique, elle raconte son pays. L’amour de son pays. Le désastre que vit son pays. La suite des désastres depuis les années 70. Elle suit un récit théâtral en plusieurs épisodes, mais elle va jusqu’à des moments de « performance » jusqu’aux limites d’une transgression du « bon » goût. C’est une artiste qui n’aime en rien la tiédeur et hait l’hypocrisie.
C’est la première fois que cette femme exceptionnelle est invitée en France. C’est l’honneur du Festival d’Avignon : nous permettre d’entendre Hanane Hajj Ali est très précieux. Une artiste, une activiste culturelle qui a été souvent au-delà des frontières de son pays, et a reçu des prix. Notamment à Edimbourg.
Parfois, Hanane Hajj Ali met les spectateurs à contribution. Elle leur confie des textes qui éclairent la séquence que l’on va découvrir. Si le fil principal de Jogging est une analyse de Médée et de ses motivations, elle a puisé dans des faits divers cruels, matière à réflexion. Les spectateurs lisent avec conviction.
On ne vous racontera pas tout ce spectacle qui est aussi drôle, voire franchement cocasse, parfois, que grave, terrible. L’artiste combattante a beaucoup de talent et déploie avec audace sa pensée courageuse. Elle est d’une lucidité rayonnante. On a envie de la connaître mieux. Elle joue depuis l’orée des années 80. Ici, dans sa maturité et sa jeunesse d’athlète qui entretient aussi bien son corps que son esprit, elle est sidérante.
Théâtre Benoît XII, à 18h00, jusqu’au 26 juillet. Relâche le 23. Durée 1h30. En vente sur place, pour 10€, le texte de Jogging. Avec Eric Deniaud et Abdullah El Kafri. En anglais, français, arabe. Les recettes vont à une association.