Une personnalité très forte. Un physique, une beauté puissante, visage tourmenté, regard clair, voix prenante. Il avait tout pour être un interprète fascinant. Ce qu’il fut. Il avait évoqué sa vie en ellipses cinématographiques, il y a quelques années. Il s’est éteint le 30 mars. Il venait d’avoir 73 ans.
Il avait quelque chose d’un personnage de Maeterlinck. Une poésie. Quelque chose qui faisait trembler imperceptiblement sa puissance physique, sa beauté. Quelque chose d’évanescent qui l’apparentait au monde des songes. Johan Leysen était l’un des plus bouleversants des comédiens européens. Insaisissable et inoubliable. D’une présence, comme on dit sur les plateaux, d’une présence forte et diffuse à la fois. Comme s’il n’avait pas tout à fait appartenu au cercle des pauvres humains que nous sommes, mais comme s’il était un envoyé.
Parmi ceux qui l’ont appelé, ces dernières années, parmi ceux qui ont mis le mieux, le plus profondément et le plus lumineusement, les secrets de cette âme fière, il y a Jacques Osinski. Avec lui, il a notamment porté à l’incandescence, dans un décor d’images hivernales, le Lenz de Büchner. C’était il y a cinq ou six ans…Il y a Christian Schiaretti, un peu plus tôt, lui confiant le rôle du Capitaine dans la pièce de Strindberg, Père, au côté de Nada Strancar. C’était il y a dix-huit ans…Mais c’est tellement vif dans les mémoires. Au théâtre, il y eut aussi Guy Cassiers, Heiner Goebbels, on ne sait plus dans quel ordre on les a découverts, ses spectacles ! Mais on n’oublie pas ses traversées nocturnes avec Milo Rau. Johan Leysen, chez lui, au plus vrai de son âme.
Il était né dans une célèbre ville du Limbourg, Hasselt. Une ville de la Belgique flamande, plus près de l’Allemagne que de la France, plus près des légendes que des raisonnements. Il avait plusieurs voix : le flamand, le néerlandais, le français, l’anglais, l’allemand. Un homme des frontières, un homme qui traversait les murs.
Son chemin, au cinéma au comme au théâtre, est riche, contrasté. Godard l’a voulu dès Je vous salue Marie en 1985. Marion Hänsel l’avait engagé pour Le Lit, son premier film, très récompensé, en 82. La cinéaste, elle aussi morte très tôt, adaptait alors un livre de Dominique Rolin. Delvaux l’engagera pour son adaptation de L’œuvre au noir, et Johan Leysen ne cessera de tourner, au cinéma, à la télévision de qualité, un peu. Patrice Chéreau n’aurait pu le laisser passer et ce sera La Reine Margot en 94. Mais Leysen tourne aussi sous la direction de Raoul Ruiz, d’Enki Bilal, François Ozon, pour ne citer que les très connus. Mais Johan Leysen a tracé son chemin du côté de la recherche, des artistes exigeants parfois demeurés dans l’ombre.
Nous ne referons pas ici la liste des pièces de théâtre, des films dans lesquels le génie poétique tourmenté de Johan Leysen s’est exprimé. On repense à son film, projeté un jour aux Bouffes du Nord. Un film elliptique et très personnel. Il plongeait dans son enfance, en appelait à Rilke, évoquait la mort du père…
A son tour il s’éclipse. Trop jeune dit Jacques Osinski. Et c’est vrai.