Jérôme Deschamps, comédien classique

Après « Le Bourgeois gentilhomme », il met en scène et joue Harpagon dans une version belle et sensible de « L’Avare ».

Dans la famille Deschamps, saluons un artiste dont le talent s’affirma : Félix Deschamps Mak, dernier enfant de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff. On connaissait ses dons pour le dessin, les arts plastiques en général. Il signe le « décor » de cette production née au TNP-Villeurbanne et que l’on retrouvera, longuement, cet été, devant la façade superbe du château de Grignan. Et l’on est immédiatement séduit par sa simplicité apparente et sa sophistication colorée que complexifient les lumières sourdes de Bertrand Couderc.

Sur cet espace aussi puissant que vide –on verra une table et des bancs, à un moment- les costumes de Macha Makeïeff séduisent, très harmonieusement assorties aux personnalités des protagonistes. Beaucoup de couleur, ici et un effet Grand Siècle qui a du charme et sied à l’esprit de la mise en scène.

Harpagon est dans la tradition avec son costume près du corps, noir et sa calotte assortie. L’interprète se joue de cette silhouette héritée d’une longue histoire et n’oublie pas son parcours personnel : la compagnie Deschamps-Makeëff, c’est tout un pan de la création théâtrale du XXème siècle, avec un talent particulier pour le burlesque. Et par touches légères, le metteur en scène et interprète du rôle-titre, ainsi que les camarades de longue date embarqués dans ce spectacle, tels Yves Robin, Hervé Lassïnce et la grandiose Lorella Cravotta qui est une magistrale et très personnelle Frosine, laissent sourdre des gestes, des comportements, des manières de se déplacer qui sont autant de citations savoureuses. De même, la bande-son de Nicolas Rouleau avec des « bruits », des cris, aboiements etc…qui nous rappellent d’autres spectacles.

Jérôme Deschamps ne fut pas jeune homme aux humanités classiques, un compagnon d’aventure de Jean-Pierre Vincent et Patrice Chéreau au Lycée Louis-le-Grand, un élève de la rue Blanche et du Conservatoire, un jeune pensionnaire de la Comédie-Française, un comédien qu’Antoine Vitez choisit pour jouer Claudel, sans en avoir conservé un goût de la belle langue et des ouvrages classiques.

Avec cet « Avare », on plonge dans la langue même de Molière que l’on entend à merveille. La pièce est souvent jouée, très bien jouée le plus souvent, reprise sous des regards différents. Elle demeure neuve, nouvelle, irrésistible. Jérôme Deschamps a le sens du rythme, des mouvements sur le plateau, de l’humanité de chaque personnage.

Elise, Bénédicte Choisnet, comme Louise Legendre, Mariane, sont jolies et sincères en jeunes premières douées –les lumières ne permettent pas de bien voir les visages, dommage. Cléante, le formidable et vif Stanislas Roquette, Valère, Geert Van Herwunen que nous avons vu (et Baptiste Chavrot, en alternance avec lui) excellent. Tous ceux qui s’amusent, tel Vincent Debost, un Maître Jacques idéal, Fred Epaud, Anselme et Brindavoine, et les chers Yves Robin, parfait en homme comme en femme, Hervé Lassïnce, La Flèche et La Merluche. Et puis Dame Lorella Cravotta qui n’a rien perdu de son énergie, de son espièglerie. Elle est d’une autorité magistrale, et toujours drôle car sa Frosine puissante, elle aussi, s’amuse.

Elle forme avec Jérôme Deschamps un couple de théâtre très tonique. Lui, Harpagon grincheux et méchant, fourbe, violent, ne cherche en rien à être aimé. Il est enfermé dans sa folie. La scène de la cassette et magistralement interprétée et l’on se retient d’applaudir ce « grand air », morceau de bravoure de la pièce auquel Jérôme Deschamps donne une force déchirante : il y a  tant de désespoir et d’humanité dans sa manière d’être ce méchant père, que l’on est bouleversé, que l’on aurait presque de la compassion pour lui. Les grands comiques sont de grands tragédiens et ce n’est pas le neveu d’Hubert Deschamps qui pourrait nous le faire oublier.

Autant le dire, cet Avare n’est en rien une pièce de plus dans le parcours de Jérôme Deschamps, il consacre sa puissance d’interprète. Et, rassurez-vous, l’on rit sans cesse !

Théâtre de la Ville aux Abbesses, jusqu’au 29 avril. A 20h00 en semaine, du mardi au samedi, à 15h00 le dimanche. Durée : 2h10. Tél : 01 42 74 22 77.

Relâches les 9, 10, 17, 24 avril.

Par le web : theatredelaville-paris.com

Tournée : 10 et 11 mai à Chartres, 23 juin-19 août, Fêtes Nocturnes du Château de Grignan, 28 au 31 décembre, Théâtre de Caen.