Avouons-le, il nous a fallu attendre de revoir Welfare à la télévision pour prendre la mesure d’un travail que l’espace, la sonorisation, la lumière volontairement plate de la scène et de la salle, écrasent. Pourtant, dès la première, on pouvait prendre la mesure d’un grand travail de la metteuse en scène Julie Deliquet et du groupe de comédiennes et comédiens engagés sur le plateau immense de la cour d’Honneur du Palais des papes.
La misère, la vulnérabilité n’ont pas d’âge. Le théâtre s’est toujours préoccupé des êtres qui sont assignés à la marge des sociétés. Ceux qui demeurent en rade, ceux qui décrochent, ceux qui souffrent encore plus que chacun souffre, dans cette vallée de larmes. On peut rejouer Les Bas-Fonds, et l’on reconnaît chaque personnage, au pur présent de l’indicatif.
Le film Welfare, plongée dans un bureau d’aide sociale de l’orée des années 70, à New York, laisse entendre les voix des demandeurs, hommes et femmes, et de ceux qui tentent de les aider en puisant dans les dispositifs qui existent. Cinquante ans nous séparent de celles et ceux que l’on apprend à connaître, au long d’une représentation 2h30.
C’était un pari risqué. Une demande du documentariste lui-même, Frederick Wiseman. Grand cinéaste et amateur de théâtre. Il y signe même de rares mises en scène. Ce qui faisait peur, c’était la cour d’Honneur. A la Fabrica, on aurait été plus proche et Julie Deliquet n’aurait pas eu besoin de faire oublier la splendeur du palais. Elle tente de l’effacer en choisissant un bain de lumière plate pour le plateau comme pour la salle. Elle tente de suggérer un lieu à part en multipliant de petites cellules fermées par des draps blancs que les interprètes font disparaître tandis que pénètre le public. Les derniers arrivés en ignoreront tout.
On imagine sans mal un grand gymnase, avec ses marques au sol et son panier de basquet, des agrès, des matelas de gymnastique, etc…et quelques gradins sur un côté. Certains « personnages » peuvent même faire quelques paniers en attendant que l’action se dessine.
L’élément essentiel du film, ce sont des bureaux, des plans serrés, des visages, des regards. Il y a de l’espace, des gens qui attendent, assis sur des chaises, qu’on les appelle. Il y a même du vide dans cette agence d’aide de New York et des enfants qui jouent.
On aura l’occasion de parler plus précisément de ce travail de transposition, signé par Julie Deliquet et ses collaboratrices habituelles, Julie André, Florence Seyvos, d’après la traduction de Marie-Pierre Duhamel Muller.
Quinze comédiennes et comédiens incarnent les êtres d’autrefois. L’orée des années 70 aux Etats-Unis. La pauvreté, d’où qu’on vienne et que l’on soit noir, latino, petit blanc, jeune ou vieux. Les interprètes sont remarquables. Saluons Julie André, Astrid Bayiha, Eric Charon, Salif Cissé, Aleksandra de Cizancourt, Evelyne Didi, Olivier Faliez, Vincent Garranger, Zakariya Gouram, Nama Keita, Mexianu Medenou, Marie Payen, Agnès Ramy, David Seigneur, Thibault Perriard. Ce dernier signe également la musique et joue.
Avouons qu’Evelyne Didi nous amuse et nous bouleverse particulièrement, elle qui a un si grand passé de théâtre, que l’on a applaudie dans cette même cour, embarquée dans un spectacle de Marthaler… Elle est merveilleuse. Mais ici, chacun défend magistralement son personnage et ce qui est touchant, que montrait le film de Wiseman, c’est la bienveillance de ceux et celles qui écoutent, tentent de faire comprendre les rouages de l’aide. A la fin, l’une d’entre eux va craquer avec des accents que l’on croirait d’aujourd’hui même.
Mais soyons sincères, le jeu des micros prive les spectateurs du fait tellement simple de savoir qui parle. Voir Welfare à la télévision, filmé par Gildas Leroux et ses équipes, rend justice aux interprètes…
Cour d’Honneur, jusqu’au 14 juillet. Relâche le dimanche 9. Durée : 2h30. Au TGP Saint-Denis du 27 septembre au 15 octobre. Le film de Frederick Wiseman est sorti en version restaurée cette semaine.