Elle a adapté l’épais livre d’Alice Zeniter L’Art de perdre et l’interprète, entourée de Fatima Albout et d’Issam Rachyq-Ahrad. Intelligence, efficacité, sensibilité. Bref spectacle exemplaire.
Premier miracle, la danse. Elle ouvre et ferme ce moment bref, vif, déchirant. Une jeune femme qui traîne devant son ordinateur, par terre, comme une ado, se lève et se met à danser. Elle est jolie, mince et fraiche. Elle se déhanche avec grâce. Rien de lourdement érotique. C’est un chant de la joie. Une énergie qui se déploie, radieuse. Une chorégraphie de Mélody Depretz, à saluer.
Pourtant l’histoire qui va être évoquée n’est pas gaie. Elle est même franchement douloureuse. C’est l’Histoire dans ses cruautés. C’est la fin de la guerre d’Algérie. C’est une famille de harkis, une famille loyale et pauvre, une famille dans laquelle ni le père ni la mère ne savent lire et écrire. Mais qui ont grandi dans un département français. Qui parlent le français. Bien ou moins bien. Qui sont français et qui quittent leur pays en 1962 pour être jetés dans un camp de rétention, pour des années. Rivesaltes…
En 2023 les spectateurs, les spécialistes du théâtre, peuvent accepter que les Harkis soient des êtres nobles et dignes de considération. Oublions donc tous les textes écrits à charge. Ecoutons Alice Zeniter. Elle a du cran. Son livre a été très commenté et admiré. Il a obtenu, en 2017, le Goncourt des Lycéens. Un très beau prix.
La grande réussite de l’adaptatrice et interprète est d’avoir réussi à réduire, faire une réduction comme on le dirait en alchimie d’un filtre précieux, de ce livre épais dans lequel on s’enfonce et on s’abandonne. Ici, tout demande de la vigilance. Tout compte. Encadrée par les parents qui parlent peu, mais qui sont essentiels, la jeune et époustouflante jeune femme, nous bouleverse et nous éclaire. Les deux comédiens qui interprètent les parents, Fatima Albout, tellement sincère, Issam Rachyq-Ahrad, puissant et profond, servent magnifiquement le propos. Quant à elle, Sabrina Kouroughli, elle est magnifique.
C’est un grand travail. Théâtral et civique. Sensible, plein de cœur et d’âme. Cela donne envie de lire Alice Zeniter. Encore plus.
Théâtre de Belleville, mercredi et jeudi à 19h15, vendredi et samedi à 21h15. Durée : 1h10. Tel : 01 48 06 72 34.
theatredebelleville.com