Troisième pièce consacrée, par Elisabeth Bouchaud, aux femmes scientifiques, trahies par des hommes s’étant approprié leurs découvertes, L’Affaire Rosalind Franklin est d’une violence terrible. Julie Timmerman met en scène quatre comédiens convaincants.
Metteuse en scène, et elle-même auteure, Julie Timmerman parle de la pièce d’Elisabeth Bouchaud comme d’un « polar ». A ceci près que l’on connaît d’entrée de jeu la funeste conclusion des événements. Quelqu’un se lève, devant une grande assemblée scientifique, pour dire la vérité et raconter immédiatement comment la jeune britannique, qui devait mourir à trente-huit ans, à peine, détruite par sa fréquentation trop assidue des rayons X, avait été littéralement volée. Dépouillée par deux manœuvres déloyales, deux actes de délinquance : vol d’une photographie, consultation d’un dossier de candidature dans un autre laboratoire, par tractations d’hommes aussi malhonnêtes que cyniques. Et qui, ainsi, reçurent le prix Nobel pour la mise au jour de la structure de l’ADN.
Elisabeth Bouchaud ne compose pas des dossiers démonstratifs, elle écrit des pièces. Elles sont construites. Elle éclaire avec sensibilité les personnalités des héroïnes. C’est plus ou moins facile selon les « personnages ». Si l’une d’entre elles partage un appartement avec une étudiante en théologie, on a une situation ! Rien de tel avec Rosalind Franklin : si l’on sait qu’elle aime la vie et a adoré Paris où elle a vécu et travaillé (une plaque a récemment été installée, rue Garancière, juste derrière Saint-Sulpice, où elle a habité), si la première scène de la pièce –mais pas du spectacle- se déroule à Paris dans un club de musique et de danse, on se retrouve à Londres, à Naples, à Cambridge…Elisabeth Bouchaud caractérise les personnages : une femme (Isis Ravel) et cinq hommes, dont l’Italien Vittorio Luzzati , (Balthazar Gouzou), celui qui danse et qui prend la défense de son amie car il sait qu’elle a été volée. Auprès de la savante, Raymond Gosling (Julien Gallix), un étudiant, admiratif, timide, voire pleutre face à Maurice Wilkins (Matila Malliarakis), pour qui il a également travaillé. Wilkins est d’une ambivalence délétère face à Rosalind. Ajoutons son vieil ami, Francis Crick (Julien Gallix), né comme lui en 1916, et un jeune américain brutal, James Watson (Balthazar Gouzou).
Isis Ravel donne à Rosalind sa détermination, son courage, son abnégation. La est bien seule, la chercheuse, dans ce monde d’hommes capables de crimes pour gagner, pour être les premiers. Julie Timmerman dirige avec précision les interprètes très investis. Les scènes s’enchaînent vivement. On assiste le cœur serré à cette course vers la vérité…et la mort. Car Rosalind Franklin mourut à 38 ans, détruite par sa surexposition aux rayons X.
Théâtre de la Reine Blanche, du mardi au vendredi à 19h00, samedi à 18h00, dimanche à 16h00. Durée : 1h20. Tél : 01 40 05 06 96. Le texte de la pièce est publié par L’Avant-scène théâtre (14€), comme l’avaient été, ensemble, les deux premiers ouvrages, Exil intérieur/Lise Meitner et PrixNo’Bell/Jocelyn Bell.
A voir jusqu’au 9 juin, avant reprise à Avignon, au Théâtre de la Reine Blanche de la Cité des Papes.