Alain Marcel, à fleur de peau

Il s’était fait connaître d’une manière éclatante, il y a quarante ans, avec « Essayez donc nos pédalos », fantaisie audacieuse sur l’homosexualité. Comédien, compositeur, metteur en scène sensible d’ouvrages lyriques comme de pièces de théâtre, il était à part. Il s’est éteint le 9 mars, à Rio de Janeiro.

C’est son cœur qui a lâché. Son cœur grand et tendre d’artiste très doué, hyper sensible, fidèle en amitié, son cœur d’éternel gamin imaginatif, doué, rieur, très cultivé, et audacieux. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas en lui un fond de mélancolie tenace.

Alain Marcel s’est éteint le 9 mars dernier, d’une crise cardiaque, à Rio de Janeiro, au Brésil, un pays qu’il aimait particulièrement. C’est son ami Jean-Marie Besset, qui l’avait engagé dans plusieurs de ses spectacles, qui nous l’a aussitôt annoncé. On a attendu car on ne sait pas, en ces cas-là, si les familles sont prévenues, si des amis plus proches ne vont pas être bouleversés d’apprendre ainsi, par un article, la disparition d’un camarade.

Jeune sur fond de montagnes qui peuvent évoquer lointainement la Kabylie…DR

Alain Marcel était né en 1952 dans une petite ville du sud-est d’Alger, à la lisière de la Kabylie, non loin de Sétif. Il avait gardé au cœur son pays de naissance et avait d’ailleurs écrit en 2009, Algérie chérie.

Mais sa patrie d’élection, c’était le spectacle vivant. Il aimait les planches. Il avait un vrai talent d’inventeur qu’il soit simple interprète, ou qu’il écrive, compose, mette en scène des opéras très sérieux ou des fantaisies comme il savait si bien en concocter.

Il est rentré d’Algérie avec sa famille et a suivi ses premiers cours d’art dramatique à Tours, avant Paris et le conservatoire où il va suivre la classe d’Antoine Vitez signer son premier spectacle, Scènes de chasse en Bavière de Martin Sperr dont le thème est la violence adressée à un jeune homosexuel.

Il connaît ses premiers engagements de comédien : il est à l’affiche du Sexe faible d’Edouard Bourdet mis en scène par Jean-Laurent Cochet dès 74 et de Les Papas naissent dans les armoires pièce à personnages nombreux, adaptée de l’Italien, portée par une troupe brillante avec Robert Hirsch, Rosy Varte, Michel Robin, plein de monde et aussi Jean-Paul Muel, tous dirigés par Gérard Vergez. Ce fut à la Michodière, en 78-79, un vrai succès !

Ils sont jeunes, beaux, drôles, ils sont courageux ! Pochette du disque que nos trois amis vendaient eux-même à la sortie des spectacles. DR

Mais ce qui va le projeter au-devant de la scène, justement avec Jean-Paul Muel et un autre artiste aux dons multiples, Michel Dussarrat, c’est Essayez donc nos pédalos au Théâtre Fontaine ! Ils sont auteurs et acteurs. On n’a pas idée de cette comédie musicale de proportions raisonnables mais portée par une réjouissante folie et un désir d’en finir avec les hypocrisies lénifiantes sur l’homosexualité alors et pour plusieurs années encore, un délit ! On ne disait pas encore « gay » couramment, sauf si on traversait souvent l’Atlantique ! Mais c’était très gai ! Et à la sortie des spectacles, les trois comédiens, en tutus, vendaient un disque inoubliable. Triste de se souvenir que c’est la jeune Tonie Marshall, qui s’est éteinte le jeudi 12 mars, vaincue par un cancer, qui signait la chorégraphie pour ses amis.

Seul, Alain Marcel écrit le texte et les chansons d’une autre comédie musicale de poche et la met en scène : Rayon femmes fortes, vers 1983. Il y a les trois compères de la compagnie « Coulisse et piston » et des demoiselles de talent : Elisabeth Catroux, Catherine Davenier, Bernadette Rollin !

Ensuite, au théâtre, comme au cinéma ou à la télévision, où il était rare, on le perd de vue car il signe des mises en scène lyriques en France, en Suisse, en Belgique. Rossini, Donizetti, Mozart, Offenbach, Verdi, notamment. Le fantaisiste est un musicien exigeant et il a le sens des œuvres, connaît très bien les chanteurs, et aime la gravité.

A New York il va monter une version bilingue des Mariés de la tour Eiffel de Jean Cocteau.

Mais c’est aussi avec de grands spectacles musicaux, adaptés ou écrits par lui, qu’il va marquer les scènes. La Petite boutique des horreurs, qu’il crée en français au Dejazet, Peter Pan, Kiss me Kate, My Fair Lady, et même La Cage aux folles version « musical » de Broadway, en 1999, à Mogador.

Ces dernières années, d’une part il avait renoué avec des formes plus légères, sur des textes et musiques souvent composés par lui : Le Paris d’Aziz et Mamadou et surtout L’Opéra de Sarah, magnifique évocation d’une femme, Sarah Bernhard, bien sûr, qu’il admirait et dont il connaissait la vie, les travaux et les jours avec une passion érudite et émerveillée.

Les ultimes fois qu’on a applaudi cet être si généreux, c’est dans des textes de Jean-Marie Besset. Perthus en 2008, Rue de Babylone en 2012, Le Banquet d’Auteuil en 2014. Entretemps, Alain Marcel avait présenté Encore un tour de pédalos au Rond-Point, il y a dix ans !