Alexander Zeldin, une empathie heureuse

Il plonge dans le monde des démunis matériellement. Mais il ne met en scène que leurs personnalités riches et leur humanité profonde.

Si l’on a bien compris, sur le plateau, les douze interprètes viennent d’horizons différents. Si l’on a bien compris, certains sont des comédiens professionnels, d’autres non. Différence non perceptible à la vue de ce spectacle très pur, cette plongée dans une réalité recomposée, mais « vraie ».

Après Love découvert dans ces mêmes Ateliers Berthier du Théâtre de l’Europe-Odéon, ce jeune artiste britannique né en 85, nous propose de pénétrer dans un restaurant communautaire. On y bricole pour offrir à manger à des femmes et des hommes seuls et sans ressources.

A cœur de ce lieu, une femme règne. Hazel, cœur et âme d’une générosité solaire, cuisinière excellente, règne derrière son comptoir. Elle a un secret de souffrance que l’on ne comprendra complètement qu’à la toute fin. Liewella Gideon est magistrale. Tendre, aimante, noble.

On fait très tôt la connaissance de Mason, Michael Moreland, qui s’est proposé comme bénévole et va se dépenser sans compter pour aider les autres et Hazel. Il va redonner vie à une entente de groupe avec une chorale. On ne la voit pas, sauf vers la fin du « spectacle ».

On rencontre les unes, les autres. Ici, la plus profonde des libertés est que l’on n’est pas obligé de décliner son identité précise.

Mère et fille, Hind Swareldahab. Maxime Bruno DR

Ce qui fait que le spectateur se débrouille avec les éléments dont il peut disposer.

Dans un décor appelant un sentiment de vérité, imaginé par Natasha Jenkins qui signe également les costumes, les lumières de Marc Williams sont à l’unisson. Le son (beaucoup de pluie) est cadré par Josh Anio Grigg. Dans le toit du bâtiment, un oiseau s’est introduit accidentellement. On entend battre ses ailes affolées contre les parois. Image acoustique qui dit la prison et les entraves qui ligotent les protagonistes. C’est le plus terrible de ce « spectacle ».

Il y a Marc, seize ans, un adolescent très responsable, incarné par le très fin Bobby Stallwood. Sa mère est comme une aiguille qui cherche sa juste place et accumule les gestes agressifs, les actes négatifs. Lucy Black est cette mère en souffrance, mais pleine de vitalité, en même temps. Il y a une autre mère, qui veille sur sa petite fille à voix d’or, Tala, jouée par Tia Dutt. Sa maman, grande et belle, Tharwa, qui fait des gâteaux soudanais délicieux, c’est Hind Swareldahab.

Il y a les femmes seules, bien perdues, la blonde mutique, Irène, Tricia Hitchcock, furtive, la brune maigre et douloureuse, Leigh, Posy Sterling. Il y a des hommes très seuls. Carl, Dayo Koleosho. Bernard, celui qui rêve de chanter mais ne sait pas chanter, Sean O’Callaghan. Et puis Anthony, Joseph Langdon. Il y a Shelley McDonald, Sunny, irradiant de vie.

Toute une humanité touchante et en rien éloignée de nous, même si nous sommes, pour la plupart, spectateurs vivant confortablement, loin des soucis quotidiens…Manger, durer. Mais les drames sont affectifs, amoureux, les drames sont liés à des chutes, des accidents de vie.

Hazel ne peut s’occuper des enfants de Beth, parce que son fils Marcus est en prison…lui aussi. Beth est déchirée parce qu’elle ne peut récupérer, littéralement, sa fille Faith.

Faith, prénom. « Foi ». Le titre de cette plongée est intitulée Faith, Hope and Charity. Horvath a écrit « Foi, amour, espérance ». Parfois traduit autrement.

Alexander Zeldin, aujourd’hui artiste associé au Théâtre de l’Europe-Odéon. Il est lumineux et profond. Il sait nous rendre sensible toutes les pensées et les chagrins, les dilemmes, les blessures de ces êtres. Les comédiens sont magnifiques. Il n’y a ici aucun effet de séduction.

Une écriture sobre, sans gras. Du silence. Des regards. Des gestes. Des pulsions. De défense, comme d’amour.

Enter chaque tableau, cinq en tout, des noirs saturés de bruit, de fureur, de de musique. Et puis toujours, ce bruit des ailes…  

Et porte de Clichy, ces jours-ci, on sort sous la pluie. Déjà lavés  par ce moment de partage rare et profonde.                     

 Théâtre de l’Odéon aux Ateliers Berthier, du mardi au vendredi à 20h00, samedi à 14h00 et 20h00, dimanche à 15h00. Durée : 2h00. En anglais surtitré.

+ 33 1 44 85 40 40

www.theatre-odeon.eu