Une petite semaine après le début du festival, voici quelques spectacles parmi la profusion des propositions de cet été.
« Disparu ». Un titre bref pour un texte sobre et puissant incarné par une comédienne très profonde. Un texte de Cédric Orain qui occupe une place singulière dans le paysage théâtral d’aujourd’hui. Il l’exprime avec clarté : « Quand je fais un spectacle ou quand j’écris (mais pour moi c’est presque pareil), je cherche une voix qui a été retirée du domaine de la parole donnée (…). » Attention, pas seulement les exclus, les aliénés, les oubliés…Mais il excelle à entendre ce que le monde n’entend pas, par égoïsme et paresse. Il avait notamment dirigé les comédiens de L’Oiseau Mouche, ces comédiens en situation de handicap réunis par cette compagnie magnifique, il avait dirigé ces comédiens dans Sortir du corps de Valère Novarina et c’était magnifique. Il monte Artaud, Bataille, Quignard. Il écrit donc. Découvrez ce Disparu qui s’inspire du mystère qu’est une disparition volontaire. Une femme, déjà âgée –elle donne l’âge de sa fille et évoque des événements qui ont eu lieu en 1973…- mais interprétée par une comédienne plus jeune et d’une sobriété, d’une rigueur, d’une sensibilité remarquables, Laure Wolf. Un dispositif scénique et des lumières de Pierre Nouvel, un peu de musique par Manuel Peskine, et ce texte. En 1973, un très jeune homme disparaît. Des années plus tard, sa mère parle. C’est tout. N’en disons pas plus. On abîmerait ce moment de pure intelligence du cœur des êtres humains. Du vrai théâtre.
Théâtre du Train Bleu, à 13h45. Durée : 1h00. Jusqu’au 24 juillet.
« La Dernière bande ». Un Beckett très souvent repris. Par de jeunes inconnus ou d’immenses comédiens. David Warrilow, Etienne Bierry, autrefois. Robert Wilson, plus récemment. La Dernière bande (Krapp’s last tape) est un texte très simple et fort. Le jour de son anniversaire, un homme s’enregistre, fait le point sur sa vie, écoute des bandes anciennes. Ce jour-là, soixantaine venue, il revient à ses trente ans : « Viens d’écouter ce pauvre petit crétin pour qui je me prenais il y a trente ans, difficile de croire que j’aie été con à ce point-là. » Un texte qui se joue la plupart du temps en 55 minutes ou une heure. N’attendez pas cela : dirigé par Jacques Osinski, cette version portée par un Denis Lavant comme toujours impressionnant, dure 1h20. Cela veut dire que certains moments sont allongés à l’extrême : la dégustation des bananes, les allers-et-retours hors champ –que de nombreux metteurs en scène évacuent, d’ailleurs. Beckett impose des didascalies très précises. Ici, elles sont interprétées au maximum de leur dilatation. Pourquoi pas ? Denis Lavant est tellement engagé dans son jeu, avec ce mélange qui sied au personnage, de gravité, de chagrin, de ricanement, de douleur. D’espièglerie et d’émotion. Krapp revient sans cesse à un moment d’amour. Une barque, une jeune femme, son regard. Ils sont pour jamais bercés par l’eau qui clapote. La musicalité de Denis Lavant épouse celle de Samuel Beckett. Classique et fort.
Théâtre des Halles, à 21h30. Durée : 1h20. Jusqu’au 28 juillet.
« Le Rouge éternel des coquelicots ». François Cervantès est un artiste de théâtre original, discret. Un artiste qui compte et qui depuis des années et des années écrit, joue, met en scène. Avec Le Rouge éternel des coquelicots, il nous donne à entendre la vie d’une femme des quartiers nord de Marseille. Des quartiers à mauvaise réputation, comme on sait…Or, ce qui est beau dans le récit de Latifa Tir, c’est qu’elle raconte comment, lorsque son père s’est installé là-haut, c’était encore la campagne, ces collines au-dessus de la ville et de la Méditerranée. François Cervantès travaillait au Théâtre du Merlan et allait déjeuner dans un snack bar, juste en face. Un établissement tenu par Latifa Tir. Un endroit promis à la destruction suite à la restructuration. La propriétaire devait être réinstallée, ailleurs. Mais l’autre lieu tardait à être construit. Tout le quartier bloqua les travaux devant conduire à la destruction du snack…C’est un texte très clair, direct, mais d’une richesse profonde. Catherine Germain porte cette parole, avec cette flamme contenue qui est sa manière. Elle a discuté avec Latifa. Elle l’incarne. Elle est fine, sensible, elle donne au moindre mot des moirures délicates. Ce qui se dit, par-delà l’épisode unique du snack, c’est la France d’aujourd’hui, c’est le destin des émigrés maghrébins comme le père. Avec ses aventures personnelles qui tiennent aussi du conte de fées. Une histoire d’en France. Un beau moment de théâtre qui va bien au-delà de la représentation.
11.Gilsgamesh Belleville, à 22h15. Durée : 1h00. Jusqu’au 26 juillet.
« Comment ça va ? ». Une comédie de Stéphane Guérin, auteur qui aime se saisir de sujets graves, mais qui ne craint pas d’instiller dans ses textes des bouffées narquoises…Dans Comment ça va ? il évoque la radicalisation d’un adolescent. Nous ne verrons jamais ce tout jeune homme. On parle de lui. Il n’existe qu’en creux. A la fin, on peut interpréter, selon son humeur, ses convictions, selon l’effet que fait sur nous le « spectacle », la conclusion. Elle peut être ressentie comme tragique, mais la pièce est une comédie et la férocité de Stéphane Guérin, l’efficacité de sa plume aigue, vous conduiront à sourire, à rire. « Une comédie abrasive » (publiée par L’Avant-scène théâtre) qui réunit quatre interprètes : Florence Pernel est Florence, qui est comédienne. Belle et sensuelle, libre, inquiète devant le comportement d’Antoine, son fils. Patrick Catalifo, Paul, est au chômage et ne supporte plus les approximations de Pôle Emploi. Auprès d’eux, une amie, Pat, la toujours merveilleuse Raphaëline Goupilleau, escortée de son grand fils, Phil, l’excellent Pascal Gautier, qui tente de séduire la somptueuse Florence…Des scènes qui se succèdent vivement. Un ton, des « personnages » qui doivent beaucoup de leur charme, en plus de l’écriture intelligente, aux comédiens qui, sous la direction de Raphaëlle Cambray, déploient tous leurs talents, qui sont larges et sûrs. Un régal de jeu.
Théâtre La Luna, à 16h10. Durée : 1h20. Jusqu’au 28 juillet.
« Un garçon d’Italie ». Vu au Belleville, à Paris, une histoire sentimentale, d’amour et de mort, d’amitié, de mystère, composée par l’écrivain Philippe Besson. Il aime les suspens, les non-dits. Son texte est donné dans une adaptation elliptique qui doit beaucoup aux interprètes réunis par Mathieu Touzé, qui joue avec deux camarades engagés de toutes leurs fibres et leur grâce, Estelle N’tsendé et Yuming Hey. Tout commence par une mort violente. La dépouille d’un jeune homme est retrouvée sur les rives de l’Arno. Sa fiancée officielle, Anna, doit reconnaître le corps. Que s’est-il passé. Une mauvaise rencontre ? Un suicide ? Luca n’avait-il pas une double vie ? Aimait-il aussi les garçons ? Un garçon ? La mise en scène est sobre et simple. On suit en quelque sorte une enquête sur la personnalité du disparu. La belle présence d’Estelle N’tsendé, la retenue de Mathieu Touzé, le charme et l’intelligence du jeu de Yuming Hey donnent au spectacle sa force, son originalité. Signalons que vous retrouverez Yuming Hey à la rentrée : il a été choisi par Robert Wilson pour être Mowgli dans Jungle book, son adaptation du Livre de la jungle. Son alacrité y fait merveille ! Rendez-vous en octobre, place d’Italie, dans le cadre de la programmation du Théâtre de la Ville !
Théâtre Transversal, à 12h00. Durée : 1h15. Jusqu’au 28 juillet.