Dans un univers lénifiant, elle introduit les cris d’une femme souffrante et très en colère. Elle exagère, sans doute. Mais au moins elle dérange.
Jamais on n’oubliera la longue nuit de La Casa de la fuerza qui, en 2009, révéla Angélica Liddell au public d’Avignon. On l’a revue très souvent depuis, au festival comme à l’Odéon, à la Colline, partout en France. On ne l’a pas suivie toujours. Parfois, on a le sentiment qu’elle est trop sollicitée, et signe des spectacles qui, pour gorgés d’images et de situations ambivalentes soient-ils, demeurent faibles par rapport à ce qu’elle annonce faire.
Car Angélica Liddell est une auteure avant que d’être une metteuse en scène ou une perfomeuse. Avec Liebestod. Evidemment, on pense à Wagner et au prélude de Tristan und Isolde. N’y pensez pas !
Comme elle l’a déjà fait, elle en appelle au torero Juan Belmonte, mort en 1962, et imagine un espace qui évoque la corrida, l’Espagne jaune soleil, rose, rouge et noire. Des chants d’amour déchirent les oreilles, comme les fanfares de la fête. Un taureau, des carcasses sanguinolentes et tout le vocabulaire de Liddell : scarifications, exhibition d’êtres « blessés de la vie », comme disait Jean-Paul II. Des bébés –on avait vu passer la petite annonce sur le site du festival, cet hiver, des vociférations, des cris, de la douleur, de la souffrance et les diatribes adressées aux spectateurs, violemment, méchamment. A la France et à ses théâtres, principalement et au public, « des femmes, des homosexuels », qu’elle prétend abhorrer. On en prend pour son grade. Cela demeure du théâtre. Il y a une certaine naïveté dans sa manière de célébrer Cioran, d’en appeler à ses chers Rimbaud, Artaud, Genet (déjnete comme elle dit).
Elle estime que le monde ne se soucie plus de spiritualité, que nos sociétés ne sont que consommatrices et abruties. C’est un peu court comme raisonnement.
Mais, indéniablement, aussi exagératrice soit-elle, il y a sur le plateau de l’ingrate salle de l’Opéra Confluence, pas du tout fait pour le théâtre, la présence explosive d’une artiste vraie (Opéra Confluence, jusqu’au 14 juillet).
Or, n’était le merveilleux feuilleton Hamlet à l’impératif, et les représentations d’un « petit » Hamlet par Olivier Py, les jeunes de L’Oiseau Mouche comme ceux de Pinocchio si l’on en croit les spectateurs, révélation d’Alice Laloy (que nous n’avons pu voir, tant ce rendez-vous, accessible aux enfants et parlant d’eux, a été pris d’assaut). N’était l’étrange Samson de Brett Bailey (Gymnase Aubanel, jusqu’au 13 juillet) et le rare David Wahl qui, dans le cadre de Vive le sujet ! présente avec Olivier de Sagazan, un précipité de science fascinante et une création plastique puissante, humoristique et séduisante, Nos cœurs en Terre (jusqu’au 13 juillet, Jardin de la Vierge, Lycée Saint-Joseph), n’était tous ces artistes et ces propositions, on est frappé par la faiblesse ambiante.
C’est un signe du temps. On transforme des films puissants, Braguino, le remarquable et si éclairant et beau documentaire de Clément Cogitore, en conte colorié et bien propre et c’est Kingdom d’Anne-Cécile Vandalem (Cour du Lycée Saint-Joseph jusqu’au 14 juillet). Encore plus fort, on s’empare de Dogville de Lars von Trier, et l’on en fait un fatras rudimentaire avec Entre chien et loup (Vedène, jusqu’au 12 juillet). Christiane Jatahy déçoit parfois…Que dire des si bons sentiments déployés par le « contre fantastique » de Caroline Guiela Nguyen, Fraternité (La Fabrica jusqu’au 14 juillet). On a beaucoup d’estime pour le travail de cette jeune femme, mais sa fable est élémentaire et atone. On n’attend pas tous les soirs le britannique Alexander Zeldin dont on a vu, en juin dernier, aux Ateliers Berthier, après Love il y a trois ans, le fascinant Faith, hope and charity. Mais on attend de la lucidité, on attend d’être bousculé, dérangé, ému, on attend que l’on nous éclaire sur le monde…
De même le légèrement prétentieux Ceux qui vont contre le vent de Nathalie Béasse (Cloître des Carmes jusqu’au 13 juillet). Elle charge sa barque de références littéraires et philosophiques nombreuses, mais le résultat est piètre. Quant à Fabrice Murgia, avec La dernière nuit du monde de Laurent Gaudé, il installe un dispositif coquet et réfrigérant malgré le charme et la forte présence de Nancy Nikusi, sa partenaire. (Cloître des Célestins, jusqu’au 13 juillet).
Le festival n’en est qu’à sa sixième journée. Deux longues semaines, chargées de créations, feront le caractère de cette 75ème édition. A suivre !