Il était aussi sensible que marquant dans ses rôles. Un comédien qui aimait la troupe et aura croisé des univers très différents. Il s’est éteint hier, vaincu par la maladie.
Les amateurs de théâtre connaissaient très bien Bernard Ballet, comédien vif, puissant, ultrasensible. Il s’est éteint hier, vaincu par une longue maladie. De Marcel Maréchal à Irène Bonnaud et Marion Bierry, en passant par Patrice Chéreau, les grands metteurs en scène ont aimé cette personnalité d’Arlequin très cultivé, l’exemple même de « l’athlète affectif » rêvé par Antonin Artaud, mais doublé d’un esprit de connaissance profonde des arts, des textes, d’un goût de la réflexion profonde.
Il était né à Lyon dans une famille assez nombreuse. Il venait d’avoir 81 ans, en janvier dernier. Le théâtre ? Le destin l’y avait conduit. Il étudiait aux Beaux-Arts et se rêvait architecte. Toute sa vie durant, d’ailleurs, Bernard Ballet fut un constructeur et, à ses débuts, il signa des décors. Tout au long de son chemin, il fut très attentif aux volumes, aux espaces. Il fut essentiel dans la conception de la Criée, réfléchissant, sans jamais piétiner les plates-bandes de l’architecte…
Sur un plateau, il frappait par la densité de sa personne. Délié, rapide, idéal dans le mouvement, cet éternel enfant, savait également s’imposer sur un plateau, comme une plante qui y aurait poussé naturellement. Lorsque l’on pense à lui, on ressent à la fois la gravité et la légèreté. On le revoit, par exemple, dans La Fausse suivante de Marivaux, dans une mise en scène de Patrice Chéreau. Aux côtés de Trivelin, grand chat de gouttière incarné par Michel Piccoli, il y avait Bernard Ballet, Arlequin, justement. Formidable ! Avec eux, Laurence Bourdil, Jane Birkin, Didier Sandre, entre autres.
On l’a dit, le hasard joua beaucoup à ses débuts. Parmi ses grands frères, l’un aimait le théâtre, mais c’est vraiment la main du ciel qui l’a conduit alors au conservatoire. Il aime s’atteler aux copies de chefs-d’œuvre. Et, alors qu’il est en plein travail, quelqu’un l’approche et lui propose de découvrir l’art dramatique…
C’était le temps des « emplois » et, avec sa silhouette nerveuse, sa tignasse bouclée, son teint mat, son regard bleu clair, il n’était pas fait pour devenir jeune premier classique. Mais il était fait pour la poésie. Il apportait sa poésie aux personnages et aux œuvres.
On ne refera pas ici le long chemin de cet artiste très attachant. Des premiers pas avec notamment tous les spectacles de Marcel Maréchal, très divers et dans lesquels il n’est pas seulement comédien mais aussi adaptateur, assistant, scénographe, etc. jusqu’aux derniers rôles. Bernard Ballet sait tout faire sur un plateau, les lumières, le son et tout le reste ! Il sera un excellent metteur en scène.
Du début des années 60 aux années 80, avec Maréchal, il a traversé des univers très différents : Audiberti, Hugo, Vauthier, Guilloux, Shakespeare, Aristophane, Ruzzante, Molière, Brecht, les mondes de Marcel Maréchal. Et puis on est à Lyon. Qui oublierait Guignol ? Une anémone pour Guignol date de 1975. Inoubliable. Et lui, Bernard Ballet signe alors ses premières mises en scène : Jean Vauthier, Valère Novarina.
Tout en ne cessant jamais de jouer, Bernard Ballet a entamé un très clair chemin à la télévision et au cinéma. Il est repéré. Seul le travail de plateau l’empêchera de tourner plus. Il a une voix, une présence, de regard unique. Il serait trop long de citer ces dizaines de rôles, très différents. On l’a dit, il n’est pas une beauté classique, mais il imprime la pellicule !
Côté théâtre, c’est la même diversité. Lorca, Bondy, Fall, Françon, Savary, Beaunesne, Bayen, Ronconi, Boeglin, Milianti, Porraz, Hoffmann, Engel, Rambert, Stavisky, Backès, Vincent, il n’a cessé d’être demandé par des metteurs en scène très différents, mais tous sensibles à sa très forte personnalité, à sa présence, répétons-le, à sa poésie. Ces dernières années, il s’était fait plus rare au théâtre, mais il avait plongé dans les univers délicats d’artistes délicates. On les a nommées : Marion Bierry, Irène Bonnaud. On ne peut oublier L’Illusion comique de Corneille comme L’Aiglon, pas plus que l’on n’oublie La Tectonique des nuages.
Enfin, aves Les Peintres au charbon de Lee Hall, très belle mise en scène de Marion Bierry en 2009, et avec, quel titre, Soleil couchant, d’après Isaac Babel, une mise en scène d’Irène Bonnaud, on salue à jamais cet être bouleversant, un formidable comédien, un être unique.