Eugène Ionesco, en couleurs

Pour cette version très intelligemment allégée, Stéphanie Tesson opte pour une vision tonique, avec chaises rouges et costumes beaux comme les traditions roumaines. Deux comédiens spirituels, Catherine Salviat et Jean-Paul Farré forment un couple épatant.

Tragique et drôle, telle est la pièce d’Eugène Ionesco, Les Chaises. Elle a souvent été montée. Elle met en scène un « vieux », une « vieille ». Ils sont reclus dans une île désolée, battue de mer hostile et de vents violents. Ils attendent des invités. Depuis longtemps, très longtemps. Ils ont été patients, mais voici qu’une fébrilité les saisit ! La sonnette retentit, il faut aller chercher les chaises qui sont remisées. La vieille les trimballe avec une énergie sans faiblesse.

Lui, le vieux, est « maréchal des logis ». Entendez « concierge », « gardien d’immeuble »…Elle, Sémiramis, ainsi qu’il l’appelle, lui est soumise, corps et âme.

Catherine Salviat et l’un des invités…Est-ce l’orateur ou l’Empereur ? Photographie Clémence Cardot. DR.

Pour Marie-France Ionesco, cette pièce est la plus importante de toutes les pièces de son père. « C’est là qu’il exprime de la façon la plus originale, la plus personnelle et la plus bouleversante, ce qu’il appelle sa « quête intermittente » de l’absolu. »

Un orateur est attendu. Un Empereur va surgir. C’est le dernier invité. Qui est-il ? Dieu lui-même, peut-être…Eugène Ionesco est un poète, un homme envahi de bouffées d’angoisse, mais qui sait que la seule réponse est le divertissement. Il a lu Pascal. Mais il prend aussi le divertissement au sens de rire. Il surgit après la guerre, comme Samuel Beckett.

En découvrant cette version neuve, excellente, on songe à la peinture, aux dessins d’Eugène Ionesco, qui s’est beaucoup exprimé par les œuvres graphiques et par la couleur. Les costumes du « vieux » et de la « vieille » renvoient d’une manière évidente aux costumes traditionnels de la Roumanie. Et en effet la couleur flambe dans les costumes imaginés par Corinne Rossi et Marguerite Danguy des Déserts. C’est la Roumanie des origines de l’écrivain. Ces vêtements à dominante rouge donnent du nerf aux interprètes.

Stéphanie Tesson joue aussi avec les chaises rouges qui sont celles des spectateurs du Théâtre de Poche. Elle a, avec l’accord de Marie-France Ionesco, fille de l’Académicien, on l’a dit, osé des coupes, notamment après l’arrivée de l’orateur, Alejandro Guerrero ou Jade Breidi.

Jean-Paul Farré. Photographie Clémence Cardot. DR.

Catherine Salviat, est une très grande interprète, sociétaire honoraire de la Comédie-Française. Elle est une Sémiramis, comme le voulait l’écrivain, apparemment soumise. Mais, dans les répliques, très résistante. La comédienne, par ses mimiques, ses intonations, ses regards, ses mimiques, ses gestes, sa manière de se déplacer (et de déplacer les chaises !) parvient à une magnifique revivification d’un personnage de légende dont on se rend compte qu’il nous parle au pur présent. Catherine Salviat se révèle un très grand clown.

Comme Jean-Paul Farré qui a depuis longtemps choisi la voie du burlesque, tout en étant un des plus fins, et plus sensibles, des interprètes de sa génération. La merveilleuse clownerie qu’il maîtrise et conduit ici, est formidable. Il possède une profonde compréhension des textes. Il nous communique un jubilation enfantine, consubstantielle à l’esprit et à l’écriture même d’Eugène Ionesco.

Un couple idéal de comédiens. Clémence Cardot. DR.

Il y a bien longtemps que l’on n’avait pas montré à quel point Eugène Ionesco est un grand classique qui nous parle au présent. Et dans le plaisir du théâtre.

Poche-Montparnasse, à 21h00 du mardi au samedi et le dimanche à 15h00. Durée : 1h15. Tél : 01 45 44 50 21. www.theatredepoche-montparnasse.com

En alternance : Alejandro Guerrero et Jade Breidi. Assistante à la mise en scène Emilie Chevrillon.