Elle incarne le personnage central de la pièce de Luigi Pirandello, Comme tu me veux, traduite et mise en scène par Stéphane Braunschweig à l’Odéon.
Elle est, près de trente ans après des débuts, très jeune, une comédienne très attachante, Tanagra armée de muscles harmonieux, toujours sur le fil. On peut l’adorer en famille chez Simon Abkarian, dans Le Dernier jour du jeûne, il y a quelques saisons, l’admirer dans Lulu de Wedekind, il y a une bonne dizaine d’années, dans une mise en scène de Stéphane Bruanschweig, déjà.
Aujourd’hui, on salue le long parcours qu’elle accomplit dans Comme tu me veux de Luigi Pirandello, pièce créée en 1930 par la légendaire Marta Abba, jeune inspiratrice du maître sicilien. On n’oublie pas que deux ans plus tard Greta Garbo tourna un film adapté de la pièce. Elle était entourée de Melvyn Douglas et Erich Von Stroheim…Une pépite…
Mais, évidemment, à l’Odéon, on ne peut s’interdire de penser à Come tu mi voi que l’on vit en 1988, année de la mort de Marta Abba, sous le regard de Giorgio Strehler. Avec la splendide Andrea Jonasson, allemande jouant en italien, comme le miroir inversé de l’inconnue de Berlin…
Car le personnage n’a pas de nom dans la distribution. Pirandello la désigne comme « l’inconnue ». Vertigineux pour une interprète…
Stéphane Braunschweig qui signe la scénographie opte pour le dépouillement. Les didascalies de l’écrivain sont longues et les décors décrits précisément. Disons-le, la distance induite, notamment dans le salon de la maison d’Italie avec ces personnages qui sont très loin les uns des autres, traduit la froideur, le malaise. Comme dans le premier acte, d’immenses rideaux encadrent toute la scène. Cela donne le côté architecturel de l’époque, sans rien.
Seuls éclairages qui aident le public : des mots qui situent l’action, au tout début, et des photographies projetées, qui disent notamment la destruction de l’Italie.
La distribution réunie est de haute qualité. La traduction fluide. Comme tu me veux est difficile car c’est une pièce où l’action est d’abord la parole. D’une affirmation l‘autre, chaque assertion étant immédiatement sapée par celle qui suit. Cela glisse. C’est un peu comme dans un rêve : ce que l’on croit saisir, vous échappe.
Tout commence fort, à Berlin. Mais faut-il raconter l’histoire alors qu’il y a un aspect de roman policier dans la pièce, un côté thriller… Dès la première scène, en tout cas, ainsi que l’a écrite Luigi Pirandello, c’est la confusion et l’acharnement des hommes contre une femme. La silhouette fine de Chloé Réjon face à cette hystérie des hommes…C’est quelque chose.
D’entrée, Claude Duparfait, Carl Salter, écrivain, impose un personnage aussi inquiétant, menaçant, que brisé. On le retrouve à la toute fin, aussi impressionnant qu’au début. Il est vraiment un immense artiste.
Nous reviendrons ici et là, en détail, sur le jeu. Saluons Annie Mercier et Alain Libolt, ceux qui sont censés savoir…Eloquents jusque dans le silence. Pierric Plathier, Bruno Pieri, le mari paumé, aussi désarmé qu’il est athlétique. Lamya Regragui Muzio et Alexandre Pallu, la sœur et son époux, tiennent leur ligne avec discipline. De même Thierry Paret, le médecin. Sharif Andoura est Boffi, celui qui fait se télescoper l’histoire et l’Histoire. Protagoniste, ici, l’Histoire comme le montre le metteur en scène. Quant à l’autre inconnue, si l’on ose dire, la pauvre enfermée que l’on exhibe, Cécile Coustillac la rend bouleversante, après avoir dessiné avec grâce Mop, au tout début.
Chloé Réjon n’est pas seule, et ses partenaires soutiennent la haute qualité du jeu. Mais le personnage de « l’inconnue » est presque tout le temps présent, deux heures durant. Un long parcours pour celle qui se bat, mais manipule, dirige l’action comme un metteur en scène, brouillant sans cesse les pistes, retournant sans cesse les cartes. Un mensonge chasse l’autre ? Une vérité chasse l’autre ? Elle est vertigineuse dans ses raisonnements et démonstrations…
Sur un fil, acrobate, danseuse aérienne et femme flouée en même temps (mais dès qu’elle comprend ce qui peut intéresser Bruno s’il récupère une épouse…elle réplique), Chloé Réjon, présence forte, jeu irisé comme l’exigent les actions, les situations, rieuse autant que déterminée à se sauver, se venger, instaurer le désordre, l’inconnue est un personnage guerrier, un personnage combattant sur les décombres de la guerre. Une reine.
Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris 6ème. A 20h00 du mardi au samedi, à 15h00 le dimanche. Durée : 2h00 sans entracte. Jusqu’au 9 octobre. Puis en tournée en 2022, en France, en Italie, en Suisse.
Tél : 01 44 85 40 40
Traduction publiée par Les Solitaires Intempestifs, 13€.